Recycler les eaux usées : la boucle bouclée
La ville sanitaire s’est construite à partir du milieu du XIXe siècle en cassant le métabolisme des sociétés organiques qui, grâce à l’épandage des excréments humains et animaux, redonnait aux sols la richesse nutritive qui en était tirée. Cette transformation a pris des décennies, parfois plus, tant cette circulation matérielle était vue comme positive alors qu’elle transmettait à la terre les nouvelles pollutions du monde industriel et urbain. Avant d’être technique et réglementaire, le défi de la réutilisation de l’eau est donc anthropologique et culturel car il conduit à faire bouger un partage entre le pur et l’impur établi depuis plus d’un siècle. Si Victor Hugo faisait des égouts l’or de Paris dans Les Misérables, l’eau réutilisée attend toujours ses poètes et ses philosophes. Le nouveau métabolisme des sociétés en manque d’eau, qui touche aujourd’hui des pays qui semblaient préservés, est à inventer en associant affects, droit, gouvernance et modèle économique.
Grégory Quenet
Depuis les études à Londres de John Snow, qui a découvert que le choléra pouvait être transmis par l’eau d’une fontaine contaminée par les excréments du quartier, et depuis la construction des infrastructures d’eau et d’assainissement qui s’en est suivie, les femmes et les hommes ont un rapport à l’eau symboliquement linéaire : d’un côté on s’approvisionne en eau pure, de l’autre côté on rejette loin ses déjections impures.
Après que toute l’histoire de la construction des réseaux d’eau a consisté à séparer les flux, le recyclage des eaux usées vient toucher à un enjeu culturel fort : il ambitionne de venir les faire se retrouver, dans une boucle fermée. Il nous invite à ne plus vivre avec la fiction d’une disparition de l’eau sale, possible jusqu’ici parce que la nature dans laquelle elle était rejetée était jusqu’ici indifférente à nos yeux, extérieure à nous-mêmes tant nous ne nous sentions pas y appartenir en tant qu’humains. Il vient au contraire assumer complètement un cercle, au-delà des premiers traitements épuratoires soucieux de préserver les cours d’eau, à l’heure où l’on prend conscience que l’humain fait corps avec la nature. Le recyclage de l’eau reflète les évolutions culturelles auxquelles l’ère écologique nous invite.
Pour répondre à ce nouveau moment culturel, les techniques sont disponibles. Éprouvées depuis plus de 40 ans dans les pays où l’eau est la plus rare, ces innovations désormais anciennes – les spécialistes parlent de la réutilisation des eaux usées traitées (Reut) – sont arrivées à maturité à l’heure où, l’eau douce se raréfiant, leur utilité devient la plus palpable. L’enjeu est désormais leur large déploiement, pour répondre aux besoins en eau des hommes… et de la nature.
De la Namibie au reste du monde
L’utilisation des eaux usées n’est pas nouvelle. Dès le milieu du XIXe siècle en France, on s’en sert pour l’irrigation et la fertilisation des cultures. Mais c’est à la fin du XXe siècle que la version moderne du recyclage de l’eau fait son apparition dans des pays soumis à d’intenses épisodes de sécheresse : on réutilise toujours mais, au préalable, on traite les impuretés. La Namibie est ainsi devenue le pays emblématique de la réutilisation des eaux usées traitées à travers le monde. La capitale, Windhoek, s’est lancée dans le recyclage de ses eaux usées dès les années 1970 pour faire face à un stress hydrique particulièrement sévère : Veolia va jusqu’à y transformer les eaux usées en… eau potable, pour ne pas perdre une seule goutte de l’eau à portée de main.
Selon Yvan Poussade, expert de la REUT chez Veolia, la Namibie est « une référence unique au monde qui a inspiré, et continue d'inspirer, de nombreux pays en permettant notamment de faire évoluer un certain nombre de réglementations ». Au-delà des usages les plus aisés à envisager, pour le nettoiement urbain ou, du fait de sa capacité à contenir des fertilisants organiques, pour les espaces verts ou l’agriculture, ces installations ont prouvé, auprès des autorités sanitaires, leur capacité technique à purifier les eaux usées au point de les rendre à nouveau potables. “Ce sont les usages les plus poussés qui ont, dès l’origine, été explorés en Namibie, parce que c’est là que les tensions sur la ressource étaient les plus vives. Qu’elles se déploient aujourd’hui ailleurs dans le monde est un symbole de la capacité de l’ensemble des pays d’Afrique à inspirer le monde”, souligne Laurent Obadia, directeur général adjoint en charge de la communication, des parties prenantes et de la zone Afrique Moyen-Orient.
Dotée de ce savoir-faire, Veolia va répondre aux besoins qui émergent progressivement à partir des années 1980, contribuant à ce que certaines régions du monde soient aujourd’hui très performantes concernant le recyclage des eaux usées.
C’est le cas d’Israël qui fait figure d’exemple à suivre : près de 90 % des eaux usées y sont recyclées, pour l’agriculture notamment. Une nécessité pour ce pays semi-désertique, qui manque chroniquement d’eau. La Jordanie s’est également saisie du recyclage de son eau : à partir du recyclage des eaux usées de sa capitale et de ses alentours sur la station d’épuration d’As Samra, Veolia assure 25 % des besoins en eau de l’agriculture du pays, permettant à celui-ci, en dépit de faibles ressources en eau, de développer son activité agricole et de nourrir sa population. En Afrique du Sud, le groupe a inauguré une usine de recyclage de l’eau à Durban en 2001 pour alimenter l’industrie. Depuis, des projets fleurissent partout à travers le monde, de Singapour à Hawaï en passant par l’Australie.
En Europe, l’Italie a mis au point dans les années 2000 l’usine Nosedo de Milan, exploitée par Veolia, la plus grande usine de réutilisation des eaux usées en Europe qui irrigue plus de 22 000 hectares. Mais c’est l’Espagne qui s’est montrée la plus offensive dans le recyclage de ses eaux usées : 15 %, contre 8 % en Italie. Dès 2000, l’Agua Plan a été adopté afin d'irriguer 300 golfs grâce à des eaux recyclées – au contraire de la France, il y faut une dérogation pour les arroser à l’eau potable, pas pour les arroser à l’eau recyclée. La communauté urbaine de Barcelone s’est montrée particulièrement mobilisée après la sécheresse connue au début des années 2000. En 2006, Veolia a équipé avec sa technologie l'une des plus grandes usines de recyclage des eaux usées municipales en Europe.
Aujourd’hui, l’eau servie au robinet par Aigües de Barcelona mêle l’eau en provenance directe de la montagne et de l’eau recyclée, directement depuis ses stations d’épuration. « Avec sa capacité de production de plus de 300 000 m3 par jour d'eau recyclée, la station de Baix Llobregat approvisionne également des agriculteurs, différents services urbains tels que l'irrigation des parcs et jardins ou le nettoyage des routes, et peut même alimenter les circuits de refroidissement de certaines industries », explique Manuel Cermeron, Directeur général de Veolia Espagne et Directeur général d’Agbar, avant d’ajouter : « une partie des volumes est également utilisée pour des bénéfices environnementaux, de la restauration de zones humides à l’entretien du débit de la rivière Llobregat, et une autre réinjectée dans les nappes phréatiques pour limiter les intrusions d'eau saline et assurer la qualité et la quantité des ressources en eau douce de la région ». Le recyclage et la réutilisation des eaux usées participe ainsi à la sécurité hydrique de la métropole.
Des technologies matures, des populations prêtes, mais des réglementations inégales
La technologie est donc mûre, les procédés de traitement sont efficaces. Une fois l’eau récupérée en sortie de station d’épuration, l’eau passe par plusieurs étapes. Dans un premier temps, la station d’épuration procède au prétraitement qui consiste à l’élimination de matières solides par dégrillage, décantation et filtration rapide. Ensuite, on applique un traitement primaire en séparant la matière en suspension par décantation et floculation. Le traitement secondaire consiste, quant à lui, à l’épuration biologique, étape destinée à éliminer les agents polluants, la matière organique biodégradable et les micro-organismes pathogènes. Enfin, un traitement tertiaire est appliqué pour éliminer les matières indésirables, en cas d’utilisation urbaine notamment. Pour cela, plusieurs méthodes existent comme la filtration sur membranes ou sur médias filtrants, par voies chimiques (chlore, javel) ou même par rayons ultra-violets. Une entreprise comme Veolia peut même adapter son niveau de traitement au besoin final de ses clients (irrigation, eau potable, eau pure industrielle, etc.), mais aussi à la qualité de l'eau entrante, celle qui arrive dans les systèmes de traitement.
Les populations, elles aussi, sont globalement prêtes à accepter ce nouveau rapport à l’eau. S’il remet en question des usages et une distinction séculaire entre le pur et l’impur, il répond aux nouvelles attentes de circularité et de lutte contre le gaspillage, en particulier là où, changement climatique oblige, il fait de plus en plus force de nécessité. Quelques chiffres à l’appui : 69 % des habitants du monde se disent prêts à manger des aliments issus d'une agriculture utilisant de l'eau recyclée et 66 % se disent prêts à se laver avec de l'eau recyclée1.
En l’espèce, ce sont les réglementations qui freinent encore le déploiement de cet usage, tardant à traduire l’évolution des mentalités et l’adaptation aux besoins. Mais comme pour la lutte contre les pollutions dans les années 1960, elles sont actuellement, en Europe, en train de définir le cadre de jeu – entre exigences environnementales et sanitaires. C’est particulièrement le cas en matière d’usage agricole. En 2020, l’Union européenne a publié un texte pour encadrer et sécuriser l’irrigation agricole avec des eaux usées traitées en définissant quatre niveaux d’eau. « Avec le niveau D, on peut irriguer des taillis à courte rotation. Avec le C on peut faire du goutte à goutte mais l’eau ne doit pas toucher le produit, c’est le cas pour la vigne notamment. La qualité B permet un usage agricole et maraîcher si l’eau ne touche pas les produits et enfin la qualité A permet à l’eau de toucher la production et de la consommer cru comme les salades », précise Yvan Poussade. Avec le recyclage de l’eau et les avancées des connaissances sanitaires, les nuances du pur et de l’impur deviennent ainsi de plus en plus subtiles... Avec le recyclage de l’eau et les avancées des connaissances sanitaires, les nuances du pur et de l’impur deviennent ainsi de plus en plus subtiles...
Tout semble donc réuni pour dépasser dans les prochaines années cette nouvelle frontière du traitement de l’eau, particulièrement bénéfique sur les zones littorales, où il ne porte pas concurrence à des usages de la ressource en aval, d’autant plus qu’il est plus économe en énergie que le captage depuis les nappes et le traitement de l’eau brute. Une nouvelle frontière à dépasser en mixant les usages de manière opportune, entre finalités agricoles, industrielles, d’agrément et de sécurité urbaine (propreté, espaces verts, défense incendie, …), d’alimentation en eau potable ou environnementales (recharge de nappes phréatiques, zones humides, …).
Ainsi importe-t-il, les réflexions ne pouvant chaque fois se mener qu’au niveau territorial, de bien faire correspondre l’offre et la demande en eau recyclée : sur chaque projet, il faut à la fois éviter les conflits d’usage et trouver les consommateurs qui bénéficieront de ces eaux recyclées ! C’est le défi que remplit, en partie, l’entreprise Ecofilae, fondée en 2009 par Nicolas Condom. « Les usagers, qu'ils soient des agriculteurs, des industriels ou des propriétaires de golf, il faut aller les chercher », rappelle-t-il. Reste ensuite à évaluer leurs besoins en eau, en quantité, en qualité. Et se demander si on peut les faire correspondre avec celles de la station afin de construire une boucle de réutilisation d’eau”. La correspondance entre l’offre et les besoins, toujours, comme depuis les débuts de la Compagnie Générale des Eaux.
Un retard français
Reste qu’en France, le retard est encore net : « on en est à moins de 1 % de recyclage des eaux usées », précise Yvan Poussade. Pourtant, comme le rappellent Catherine Boutin, Alain Héduit et Jean-Michel Helmer dans leur rapport Technologies d’épuration en vue d’une réutilisation des eaux usées traitées, elle faisait partie dans les années 1980 « des pays européens les plus dynamiques en développant la réutilisation des eaux usées pour l’irrigation agricole. »2 Fidèle à sa réputation de pionnière et bénéficiant de la présence d’innovateurs comme ceux de la Compagnie Générale des Eaux, la France était, en effet, bien partie pour montrer l’exemple en la matière. Au XIXe siècle, Eugène Belgrand met au point, à Paris, un système hydraulique exceptionnel constitué d’un double réseau souterrain. Ce double réseau d’eau potable et non potable est unique au monde puisque le premier alimente les immeubles tandis que l’autre sert aux différents usages de la ville.
Veolia a, par la suite, pu tester et développer des projets de réutilisation des eaux usées traitées sur le territoire français. Dès 1995, Veolia gère les services d’assainissement de Pornic où 10 % du volume total annuel des eaux recyclées sont utilisées pour irriguer le parcours de golf de la ville. Conséquence : la ville a réduit les volumes puisées dans ses ressources en eau mais a aussi amélioré la qualité de ses eaux de baignade.
Malgré ces projets innovants, et des technologies et acteurs mûrs, la France est aujourd’hui en retard. Comment l’expliquer ? Selon Pierre Forgereau, directeur du Territoire Artois Douaisis de l’activité Eau de Veolia, la réponse est simple : des pays comme Israël ou l’Espagne ont dû faire face, avant la France, à de fortes pénuries en eau. « Les réglementations de ces pays s’adaptent à la pression sur la ressource en eau. Tant qu’un pays n’est pas en pleine nécessité d’engager une réflexion autour de la réutilisation des eaux usées, personne ne s’engage ».
Après avoir expérimenté de nombreuses innovations qui auront ensuite bénéficié au reste du monde, du modèle de gouvernance au compteur d’eau, la France, en matière de recyclage, est aujourd’hui plutôt en position de bénéficier des retours d’expérience accumulés à travers le monde. « Au vu de la situation que connaît la France actuellement, la réglementation va devoir évoluer rapidement », prédit Pierre Forgereau. Thierry Trotouin, directeur des marchés industriels Eau chez Veolia, tient d’ailleurs à souligner que « pour montrer l’exemple sur les stations d’épuration que nous gérons, en usage interne, nous utilisons l’eau usée traitée pour préparer des réactifs pour le traitement des boues. Mais les eaux usées traitées vont également servir à nettoyer les équipements ». De la sorte, Veolia, avec de nombreuses collectivités qui en expriment le besoin, prône activement l’accélération de ces nouvelles approches en France.
Et les choses bougent, comme l’assure Pierre Ribaute, directeur général de l’activité Eau France : “On est désormais rentré en France dans un nouveau rapport à l’eau, et le recyclage des eaux usées n’est que la partie émergée de l’iceberg, avec un ensemble de solutions désormais prêtes à être déployées pour prendre soin du petit comme du grand cycle de l’eau”.
Un projet d’avant-garde, le programme Jourdain
En 2022, nous avons d’ailleurs franchi un nouveau cap, dans ce pays des origines qu’est la France : l’autorisation en Vendée, département pionnier en matière de recyclage des eaux usées, d’une expérimentation d’avant-garde en Europe de transformation indirecte en eau potable. Le programme Jourdain a été baptisé ainsi en raison d’une double référence : le fleuve Jourdain qui traverse Israël, exemple à suivre en matière de recyclage de l’eau, et le personnage de M. Jourdain dans Le Bourgeois Gentilhomme de Molière (1670) – qui fait de la prose sans le savoir, tout comme, sans le savoir, nous réutilisons déjà de l’eau usée dès lors que nous la puisons en aval de la rivière dans laquelle elle a été rejetée.
Comment cela fonctionne ? Ce projet est mené par le service public de l’eau de Vendée Eau – avec le concours de Veolia qui a conçu et exploite l’unité d’affinage du programme. Il est soutenu financièrement par l’Agence de l’eau Loire-Bretagne, la région Pays de la Loire, le FEDER, le département et le FNADT. Vendée Eau travaille également avec une AMO composée de la CACG, du cabinet Merlin et d’Ecofilae. C’est un projet de territoire, collectif. Plutôt que d’être rejetée dans l’océan, une partie de l’eau sortant de la station d’épuration des Sables d’Olonne est récupérée puis traitée de nouveau au sein d’une station d’affinage. Y sont traités les résidus médicamenteux, les micropolluants ou encore les composants microbiologiques comme les virus et bactéries. L’eau ainsi obtenue est ensuite acheminée sur 27 kilomètres en direction du barrage de Jaunay où elle sera réinjectée dans une zone végétalisée. « Une batterie d’analyses sera effectuée sur le vivant, les poissons, les coquillages que l’on retrouve dans l’eau. Pour analyser ce biotope et mesurer la qualité du rejet, 800 composants vont être passés au crible », précise Jacky Dallet, président de Vendée Eau et maire de la commune de Saint-André-Goule-d’Oie.
C’est sur son territoire que l’eau sera mélangée à celle de la rivière qui transite alors jusqu’à l’usine de production d’eau potable qui produira l’eau consommable pour les foyers. Particulièrement sensible aux épisodes de sécheresse, le département de la Vendée a la particularité de puiser 94 % de son eau potable dans les eaux superficielles, quand la moyenne nationale est de 30 %. « Une étude prospective de consommation pour 2030-2035 met en évidence des points de fragilité sur l’ensemble du département et la région côtière. Cela pourrait représenter un déficit de huit millions de mètres cubes d’eau », indique Jacky Dallet. Le projet Jourdain représente donc une opportunité pour préserver la ressource naturelle et sécuriser les réserves en eau potable du département. Les enjeux sont conséquents : d’ici 2027, le système pourrait produire deux millions de mètres cubes d’eau chaque année.
Vendée Eau, à travers le programme Jourdain, a une mission : prouver les effets d’un système de réutilisation indirecte d’eaux usées traitées pour l’eau potable. « Le but final est de contribuer à l’évolution de la réglementation, de participer à l’amélioration de l’état de l’art de la REUT et de permettre à terme la réplication de solutions identiques en France et en Europe sur des territoires sensibles à la pression sur les ressources en eau », indique Jacky Dallet.
C’est ainsi une autre manière de boucler la boucle : après que la France, s’inscrivant dans la première révolution industrielle européenne, a développé une expertise dans les métiers de l’eau qui a pu bénéficier au reste du monde, elle apparaît aujourd’hui comme bénéficiaire de ces techniques développées ailleurs. C’est aussi la démonstration de l’utilité d’un groupe mondial pour répondre aux enjeux écologiques, à même de capitaliser, à l’heure où les défis écologiques des territoires convergent, sur l’expertise développée dans ceux qui ont été les premiers exposés.
De cette vision globale sur les enjeux d’eau, il ressort une hiérarchie claire des actions à déployer face au monde qui vient. « Il existe aujourd'hui une palette de solutions : d'abord consommer moins, ensuite réduire les pertes des réseaux et enfin développer de nouvelles ressources », pour reprendre les mots d’Estelle Brachlianoff. La sobriété des usages, qui emporte un changement de paradigme collectif, ressort ainsi comme la première des solutions. Suivie de l’efficacité et de la mobilisation du meilleur du métier. Puis du développement des solutions alternatives, des solutions fondées sur la nature au dessalement en passant par le recyclage de l’eau. Une palette sur laquelle le groupe continuera à innover pour assurer aux territoires la meilleure adaptation.
À Tanger, le recyclage des eaux industrielles
Veolia, via sa filiale Veim, accompagne l’usine Renault, installée à Tanger depuis 2012, à réduire son empreinte environnementale pour atteindre le zéro rejet liquide industriel. L'usine de Tanger réduit de 70 % ses prélèvements d'eau pour les processus industriels par rapport à une usine équivalente en termes de capacité de production.
Ces résultats sont dus à l'optimisation des procédés industriels pour réduire les besoins en eau et minimiser les rejets correspondants.
Plusieurs étapes de traitement permettent de transformer les effluents en eau purifiée (déminéralisée). Cette eau, qui répond aux exigences élevées de qualité des procédés, est ensuite réutilisée dans les procédés de traitement de surface et d'assemblage des véhicules. Au total, 437 000 m3 d’eau sont préservés chaque année, soit l’équivalent de 175 piscines olympiques. La réutilisation de l’eau n’est pas la seule technologie pour obtenir ce résultat mais elle est centrale.
À Alicante, objectif 100 % recyclage
Située en Espagne au cœur de la communauté valencienne, Alicante est un haut lieu du tourisme espagnol et contribue, avec ses agrumes, à faire de son pays le « verger de l’Europe ». Comme beaucoup, le territoire doit désormais faire face au dérèglement climatique, à l’augmentation des températures, aux pluies torrentielles et aux sécheresses. Dans ce contexte bouleversé, « la ville, considère Jorge Olcina Cantos, géographe et spécialiste du climat de l'université d'Alicante, doit devenir le centre d'approvisionnement en eau », et même, le cas échéant « le centre d'alimentation des zones agricoles »3. Et cette petite révolution a commencé avec le recyclage des eaux usées.
Depuis 2015, un parc urbain inondable, le parc de la Marjal, a été créé pour retenir l’eau en cas de fortes précipitations tout en servant d’espace de fraîcheur et de biodiversité.
Il alimente le réseau de la ville en eau, opéré par Aguas de Alicante, détenue à parité par la ville d’Alicante et Veolia, et participe à l’atteinte d’un taux de recyclage de l’eau de 33 % en 2023.
Comme à Los Angeles, un objectif de 100 % de recyclage de l’eau est même visé dans ce territoire situé en bord de mer : plus une goutte d’eau douce ne sera alors rejetée au large.
Le plan établi pour y parvenir prévoit d’ici 2027 la création de quatre parcs inondables d'une capacité supplémentaire de 90 000 m3 – soit deux fois plus qu'à la Marjal. Et le réseau d'eaux usées réutilisées, complémentaires du réseau d’eau potable déjà long de 70 kilomètres, sera étendu.
Alors que l’agriculture avait souffert par le passé de la baisse des précipitations, les producteurs de mandarines témoignent du fait qu’avec la réutilisation des eaux usées, ils ont pu regagner des surfaces agricoles abandonnées. En portant ses ambitions jusqu’au bout, le territoire estime être en capacité de se protéger durablement des aléas climatiques.
L'industrie électronique en Corée : du recyclage de l'eau à l'eau ultrapure
La fabrication de puces et de semi- conducteurs nécessite une eau ultra-pure répondant à des normes de qualité très strictes. Dans l’industrie de la microélectronique, l’eau est utilisée pour nettoyer les tranches (wafers), qui sont extrêmement sensibles à la contamination par des impuretés.
Depuis mars 2001, Veolia fournit au leader sud-coréen des semi-conducteurs SK Hynix une eau ultrapure de qualité constante, un élément essentiel à sa production de haute technologie. L’entreprise assure également le traitement des eaux usées pour garantir la sécurité d’approvisionnement en eau.
Il s’agit aujourd’hui du plus grand projet d’eau industrielle de Veolia, avec une capacité de traitement d’eau ultrapure de près de 100 000 mètres cubes par jour, et de plus de 3 millions de mètres cubes d’eau réutilisés par an.
Sa mission consiste à traiter l’eau pour en retirer tous les éléments organiques ou chimiques et se rapprocher au maximum de la formule H2O. Puis à la fournir en continu, à une température constante, au site de production de matériel électronique. Enfin, l’eau sera retraitée et réinjectée dans le process.
En auditant et en analysant régulièrement l’ensemble des installations de réutilisation des eaux usées et en implémentant les solutions et technologies les plus innovantes, Veolia parvient non seulement à sécuriser l’approvisionnement en eau ultra-pure, mais aussi à toujours mieux traiter les effluents de SK Hynix sur ses trois sites (Incheon, Cheongju et Gumi). Ainsi, plus de 40 % des eaux usées sont réutilisées in situ, ce qui permet à SK Hynix de réduire considérablement ses coûts d’exploitation, d’améliorer ses rendements de production et de dépasser ses objectifs de durabilité. Le traitement et le recyclage de ces effluents à des normes plus strictes que ce qu’impose la réglementation sud-coréenne jouent aussi un rôle majeur dans la protection de l’environnement.
Luc Zeller, chez Veolia depuis 1983
Luc Zeller fête cette année ses 40 ans de carrière dans le groupe. Il fait ses débuts dans le Groupe Montenay - spécialisé dans l’énergie -, qui sera racheté en 1986 par la Compagnie générale des eaux, devenue depuis Veolia. Son parcours se construit au gré de l’ouverture du groupe à l’international : après dix ans en région Rhône-Alpes, il passe cinq ans en République tchèque puis vingt-cinq ans en Asie, où il dirige désormais la Business Unit de Taïwan. Implanté localement, il observe ces régions du monde se transformer : l’ouverture de l’Europe de l’Est après la chute du mur de Berlin, la mutation de la Chine avec des taux de croissance à plus de 10 %. Il officie aussi en Inde et en Égypte. Une expérience riche qu’il partage avec ses équipes. « Je suis totalement convaincu que si vous faites confiance à vos collaborateurs, si vous définissez bien les règles du jeu, vous avez un potentiel énorme, confie-t-il. Un succès n’est jamais individuel mais toujours collectif. » En 40 ans de carrière, comment avez-vous vu évoluer Veolia, notamment dans le domaine de l’eau ?
Nous engageons aujourd’hui plus que jamais nos capacités d’innovation dans la transformation écologique. Nous sommes responsables et proactifs auprès des autorités publiques et des communautés auxquelles nous appartenons et cela s’est considérablement renforcé géographiquement après la fusion avec Suez.
Nous avons développé des partenariats pour une gestion efficace et responsable de l'eau, ainsi que des technologies avancées pour prévenir la pollution et réutiliser les ressources hydriques. Cette bonne gestion passe aussi par l’action de nos équipes pour fournir les produits chimiques responsables, participer aux choix des pompes dont la consommation électrique et la maintenance permettent de garantir un prix compétitif de l'eau vendue pour nos clients.
Quelle est la synergie entre les différents métiers du groupe ?
La combinaison de nos trois métiers est unique sur ce marché. Aujourd’hui, avec les enjeux de réduction de l’empreinte carbone, elle prend tout son sens. Dans les installations que l’on opère, nous faisons déjà intervenir nos trois métiers. Prenons l’exemple de l’industrie des semi-conducteurs (composants électroniques) à Taïwan. Elle fait face à une demande mondiale très importante et doit réduire ses consommations d’eau pour ne pas impacter la consommation des foyers. Les clients de cette industrie comme Apple les incitent également à décarboner davantage leur production. Un projet d’usine de recyclage des eaux usées pour production d’eau ultrapure à destination d’une usine de semi-conducteurs va donc également intégrer la récupération des matières qui pourront être revalorisées et la consommation d'énergie renouvelable.
En quoi la longue histoire de Veolia est-elle un atout ?
En Chine, la notion d’histoire est très importante. Veolia, avec ses 170 ans, fait figure de sage… quand les universités chinoises les plus prestigieuses sont plus jeunes que Veolia : Tsinghua Beijing, l’équivalent de Polytechnique, a été fondé en 1911. Notre histoire nous ouvre donc des portes : elle nous donne un capital confiance d’entreprise solide, résiliente et construite sur de bonnes fondations. Mais ne nous reposons pas sur nos lauriers ! Il faut rester compétitif, agile et innovant. Nous avons les moyens de nos ambitions et un objectif clair. Je suis optimiste !