Inventer le déchet : d'une société sans déchet au tout jetable
L’essor d’un secteur privé de collecte et de retraitement des déchets s’inscrit dans une rupture anthropologique majeure qui touche tous les pays industrialisés à partir de la fin du 19e siècle. Alors que jusque-là les productions humaines étaient sans cesse réutilisées, elles deviennent massivement déchets, c’est-à-dire quantités perdues qu’il faut ramasser pour les faire disparaître de la vue des personnes qui les ont produites. La vision irénique d’un monde d’avant où l’on ne jetait rien doit être nuancée par un autre terme plus ancien, celui d’ ” ordure”, l’ensemble des humeurs et des excréments qui souillent et constituent la matrice de la propriété d’un territoire, selon le philosophe Michel Serres. Les déchets naissent au moment où les ordures cessent d'être vues comme des ressources inscrites dans le grand cycle du métabolisme urbain mais, de ce fait, encombrent les rues européennes d’une façon qui nous serait aujourd’hui insoutenable. A Rouen au XVIIIe siècle, le système d’adjudication ne permet de ramasser guère que 300g d’ordures par jour et par habitant, tandis que Paris, seconde ville d’Europe en 1780, est envahie par une boue noire et nauséabonde qui tache les habits, mélangeant la terre des chantiers de construction, les résidus ferreux de l’incinération dans les cheminées et les fuites d’excréments des fosses d’aisance. Collectées au pied de l’île de la Cité et de Notre Dame, déversées dans des voiries à boue incluses dans le tissu urbain, à côté des Invalides et de l’Ecole militaire, ces boues contribuaient à la pestilence de la ville, avec la fumée des cuiseurs de tripes, les exhalaisons des fondeurs de suif, la putridité des eaux croupies des blanchisseuses, les miasmes des tanneries et des abattoirs.
Grégory Quenet
Les déchets ont-ils été inventés ? C’est, décrite un peu grossièrement, la thèse défendue avec brio par la chercheuse et enseignante en urbanisme Sabine Barles dans son ouvrage L’Invention des déchets urbains, 1790-19701. L’autrice évoque des déchets “urbains”, et l’adjectif a son importance. Car tout dépend en réalité de ce que l’on entend derrière le terme “déchets”, tant il est vrai que ces définitions, ainsi que celles des autres mots utilisés à travers l’histoire pour décrire les sous-produits de l’activité humaine (boues, ordures, immondices, résidus, vidanges…), ont pu traduire des visions, des époques, des modes de vie différents. Pour Christian Duquennoi, ingénieur de l’école des Ponts et chercheur à l'Irstea (Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture), la notion de déchet s’entend comme de “la matière qui n’a plus d’utilité ou de fonction, mais ce n’est pas quelque chose qui existe dans l’absolu”.
Dans son livre Les déchets, du big bang à nos jours2, il fait remonter bien plus loin l’origine de ce concept. Il le situe en effet quelques centaines de millions d’années après le big bang et la création de l’univers, lorsque des systèmes de planètes se sont formés et ont expulsé des “déchets”, soit de la matière et de l’énergie qui n'étaient pas utiles au fonctionnement de ces étoiles. Sur notre bonne vieille Terre, à l’intérieur des écosystèmes, les rejets de produits indésirables par les organismes vivants ne sont pas perdus pour tout le monde. Les déchets des uns deviennent un aliment pour les autres, à l’image du gaz carbonique que nous expulsons en respirant, et qui va faire pousser les plantes (photosynthèse).
“C’est le début de l'économie circulaire ! ”, note malicieusement Christian Duquennoi. Plus prosaïquement, le mot “déchet” en français vient de “déchoir”, il décrit ce qui va chuter sur le sol au cours de l’activité humaine : les copeaux de bois issus de la taille d’un arbre, le morceau de tissu qui tombe après usage, l’excrément qui retourne à la terre… Le déchet est la matière première des archéologues, qui travaillent à partir de ce qui a été considéré comme inutile par les sociétés sans écriture. Toutefois, durant la majeure partie de l’histoire de l’humanité, la plupart des sous-produits sont réutilisés. Il faut attendre le XXe siècle pour constater ce qu’Antoine Compagnon, membre de l’Académie française et auteur de l’ouvrage Les Chiffonniers de Paris, considère comme une “parenthèse” dans l’histoire : celle que constitue un monde du tout jetable et du gaspillage généralisé. Un monde dans lequel il a bien fallu trouver des solutions pour transporter et gérer la quantité innombrable de déchets désormais produits.
Le XIXe siècle, la valorisation des déchets comme nécessité
Au Moyen Âge et sous l’Ancien Régime, la gestion des déchets est relativement bien renseignée par les historiens et archéologues. Dès la sédentarisation, l’agriculture et l’élevage, on constate que les déchets commencent à être expulsés des maisons - Yuval Noah Harari nous apprend ainsi dans Sapiens que le chien, meilleur ami de l’homme, n’est en réalité rien d’autre qu’un loup venu à la lisière des villages se nourrir des tas d’ordures avant d’être domestiqué par l’homme. Mais “ils poursuivent malgré tout une autre carrière”3, notent Marc Conesa et Nicolas Poirier, enseignants-chercheurs en sciences humaines.
A l’époque, rien ou presque ne se perd, tout se transforme : “Les excréments des animaux donnent de la fumure pour les maraîchers, toute la viande est mangée, leur peau sert à fabriquer des cuirs, la graisse est reprise pour le suif nécessaire au savon et à l’éclairage, les os broyés en poudre vont être réutilisés comme colle dans des usages proto-industriels…” D’après Marc Conesa, la gestion des ordures et de leurs nuisances est une préoccupation pour certaines communautés, mais la croissance démographique et le besoin d’engrais va leur trouver un exutoire fertile dans les champs, à tel point que “la gestion des déchets forme les structures agraires et les terroirs”. Le XIXe siècle ne va finalement donner qu’une dimension quasi-industrielle à des activités anciennes de récupération des déchets en raison de la croissance de la demande et grâce aux progrès techniques. Les sociétés modernes vont ainsi trouver des vertus dans l’ordure, tout en la trouvant répugnante pour des raisons d’hygiène. Selon Sabine Barles, qui utilise dans son livre le concept de “métabolisme urbain”, la ville, l’industrie et l’agriculture sont parvenues au XIXe siècle à fluidifier des échanges de matières entre elles afin de les valoriser. En résumé, “leurs circulations de la maison à la rue, de la rue et de la fosse d’aisance à l’usine ou au champ contribua au premier essor de la consommation urbaine. Scientifiques, industriels, agriculteurs regardèrent la ville comme une mine de matières premières et participèrent, aux côtés des administrations municipales, des services techniques et des chiffonniers, à la réalisation d’un projet urbain visant à ne rien laisser perdre”.
L’incarnation symbolique de cette vision, c’est le chiffonnier - et la chiffonnière qui, citons-la pour lui rendre justice, représente “un tiers” des effectifs de la chiffonnerie parisienne4. Figure bien connue du XIXe siècle, héros de gravures de Daumier, Gavarni ou Traviès, allégorie du poète pour Baudelaire, clamant “On voit un chiffonnier qui vient, hochant la tête / Butant, et se cognant aux murs comme un poète”, le chiffonnier, objet de légendes associées aux enfants trouvés et aux trésors cachés dans les ordures, fait aussi plus sérieusement l’objet d’un chapitre très détaillé dans l’enquête sociologique de Frédéric Le Play sur les ouvriers5, où est décrit le budget d’un chiffonnier “modèle”. Antoine Compagnon nous rappelle dans un entretien exclusif qu’“eux-mêmes s’appellent des “petits industriels”, ce sont des travailleurs indépendants comme les auto-entrepreneurs d’aujourd'hui. Ils disent qu’ils ne veulent pas de patrons, mais cette indépendance est en fait souvent liée à l’alcoolisme, qui les empêche d’avoir un travail normal. Il y a cependant des cas de chiffonniers devenus papetiers, qui ont fait fortune.”
Si les chiffonniers ont pu vivre plus ou moins bien de leur labeur, c’est que la demande de chiffons a explosé dans toute l’Europe, à tel point qu’il est interdit de les exporter depuis 1771 en France. En effet, le chiffon sert à fabriquer le papier, qui est de plus en plus utilisé au cours du siècle : l’essor de la presse, le boom de l’imprimerie, puis la démocratisation de l’école ont fait passer la production papetière de 18 000 tonnes en 1812 à 350 000 en 1900. Or, il faut 1,5 kilogramme de chiffons pour fabriquer 1 kilogramme de papier, ce qui représente la moitié du coût de fabrication. Il existe également une bourse du chiffon, avec ses prix qui varient en fonction de la qualité et qui n’ont pas forcément de rapport avec le prix de la matière d’origine, coton, chanvre ou lin, le chiffon de laine n’étant pas utilisé pour la papeterie mais pour fabriquer de nouveaux vêtements. Les chiffonniers trient tout ce qu’ils ramassent, même les os (on les appelle “rag and bone men” en Angleterre), qui deviendront des boutons de chemise ou du phosphore pour les allumettes, puis vendent leur cargaison aux grossistes, les “maîtres chiffonniers”, situés pour la plupart rue Mouffetard à Paris. À la fois agents de l’ordre, capables de connaître la vie d’un quartier grâce à leur travail et de renseigner la police, et silhouettes inquiétantes, rôdant la nuit avec un crochet et une hotte pleine de chiffons, parfois avinés, toujours sales, les chiffonniers étaient répertoriés à la préfecture de police et “médaillés de la chiffonnerie”, bien qu’il existât un grand nombre de clandestins non listés. Au total, leur nombre a beaucoup augmenté au cours du XIXe siècle, pour atteindre 200 000 dans le département de la Seine en 1884 d’après la chambre syndicale des chiffonniers !
Le vidangeur est l’alter-ego du chiffonnier pour assurer une autre grande activité de récupération de l’époque, la collecte des “vidanges”, c’est-à-dire les excréments jetés dans les fosses d’aisance puis déplacés dans des décharges à ciel ouvert. Avec une croissance démographique de 40% tout au long du XVIIIe siècle, la France devient un géant démographique : les surfaces agricoles s’étendent de plus en plus, provoquant une véritable “chasse aux engrais”, comme le note Sabine Barles. La demande est si forte que des agriculteurs ou des entrepreneurs paient même pour avoir le droit d’emporter les excréments urbains vers les campagnes, à l’image de Bridet, un cultivateur normand qui achète en 1787 le droit d’exploiter la fameuse voirie de Montfaucon à Paris6, sur l’emplacement actuel du parc des Buttes-Chaumont. Il fait alors breveter son procédé consistant à transformer ces matières fécales en “poudrette” desséchée qui sert d'intrant naturel aux agriculteurs. De nouveaux brevets verront le jour ici ou là tout au long du XIXe siècle, et avec eux une multitude de nouvelles usines de poudrette qui fourniront villes de banlieue et villages de campagne jusqu’au XXe siècle, même si les critiques se font alors de plus en plus vives autour de la qualité de cet engrais d’origine humaine.
À cela, il faut ajouter les “boues urbaines”, produit des ordures ménagères jetées dans la rue, mélangées au sable, à la terre et à toutes sortes d’autres matières, telles que les déjections des chevaux (à Paris, on compte 80 000 chevaux en 1900). Ces boues, qui servent aussi de fumier, sont à une époque directement collectées par des domestiques envoyés par les agriculteurs, qui leur fournissent cheval, tombereau et outils, avant d’être l’objet d’une concurrence entre revendeurs. Pour les grandes villes comme Paris, l’intérêt de la valorisation des boues tient aussi à des enjeux d’hygiène, car celui qui veut en vendre vient nettoyer la rue.
La fin d’un monde circulaire : le développement de la chimie et de l’hygiène
Ce processus circulaire, à l’intérieur duquel les campagnes nourrissent les citadins, qui en retour produisent des engrais utiles aux champs et des matières premières pour l’industrie, atteint son apogée autour de 1870. Plusieurs faits marquants vont y mettre une fin progressive jusqu’aux années 1930. “A la fin du XIXe siècle, analyse Christian Duquennoi, le coût des matières premières et secondaires devient tellement prohibitif qu’une course à l’innovation est lancée pour les remplacer par de la matière première neuve. D’une certaine manière, l’invention de la pâte à papier, qui va utiliser de la fibre de bois à la place du chiffon, est le premier domino qui va entraîner tous les autres.” Ce qui fait dire à Antoine Compagnon que “le moment du chiffonnier coïncide avec le retard de la chimie sur la première révolution industrielle”7. Suivent en effet des matières issues de la pétrochimie, comme le celluloïd et le plastique, qui remplacent les os et les cornes pour produire des bijoux, des boîtes, des jeux… Découverte en 1909 par Leo Baekeland, la bakélite est la première résine plastique à être utilisée à la place de l’ivoire, pour faire des boules de billard, mais aussi pour fabriquer des jouets, des postes de radio, des pièces d’automobile, des stylos, des lampes, des cendriers, des moulins à café… Enfin, à partir de 1913, le procédé Haber-Bosch va rendre possible l’invention d’engrais industriels chimiques formés d’après la fixation de l’azote présent dans l’air. Pour des raisons économiques, mais aussi d’hygiène, ces engrais chimiques seront bientôt considérés comme préférables aux boues et aux vidanges, car de meilleure qualité et moins toxiques. « Le guano du Pérou, les nitrates du Chili et plus encore les engrais chimiques jouent contre l’utilisation de l’engrais humain », confirme Alain Corbin dans Le Miasme et la Jonquille.
Le développement de la chimie accompagne une sensibilité aux odeurs toujours plus forte, à laquelle les chiffonniers à leurs débuts avaient constitué une première réponse. L’émergence de la bourgeoisie, qui préfère la pudeur à l’exubérance de l’aristocratie, plaide pour des odeurs plus douces. L’avènement de l’individualisme et d’un État fort concourt à la privatisation des immondices. L’ensemble de ces phénomènes conduit à une accentuation des aspirations hygiénistes, qui prennent l’ascendant sur les considérations utilitaristes, pourtant puissantes. Plus que jamais, « désinfecter – et donc désodoriser – participe d’un projet utopique : celui qui vise à sceller les témoignages du temps organique, à refouler tous les marqueurs irréfutables de la durée, ces prophéties de mort que sont l’excrément, le produit des menstrues, la pourriture de la charogne et la puanteur du cadavre. Le silence olfactif ne fait pas que désarmer le miasme, il nie l’écoulement de la vie et la succession des êtres ; il aide à supporter l’angoisse de la mort » 8.
Plus tard, l’hygiénisme servira d’ailleurs souvent de prétexte ou de justification au développement de produits jetables rendus possibles par l’industrie, comme le raconte très bien la philosophe Jeanne Guien dans son livre Le Consumérisme à travers ses objets. Vitrines, gobelets, déodorants, smartphones….9 La chercheuse cite ainsi l’interdiction au début du XXe siècle des tasses en étain mises à disposition dans les fontaines publiques aux États-Unis pour permettre aux gens de se désaltérer. Par souci de ne pas transmettre de germes, les politiques publiques ont lancé des campagnes de prévention et les ont remplacées par des gobelets uniques en papier doublé de paraffine, puis en carton et en plastique, avec le succès planétaire que l’on connaît. Autre exemple fameux, la création en 1924 des mouchoirs jetables, les fameux Kleenex©, par l’entreprise Kimberly-Clark. Inventés afin d’écouler les stocks de fibres de cellulose qui servaient à fabriquer des bandages durant la Première Guerre mondiale, ils étaient destinés dans un premier temps à retirer le surplus de crème maquillante avant d’être transformés en mouchoir au fil des usages. Alors que des médecins avaient déjà préconisé ce type de tissus jetables au XIXe siècle pour des raisons d’hygiène, c’est seulement a posteriori que l’entreprise s’est servie de cet argumentaire pour vendre son produit. Avec la démocratisation massive de la consommation, “le déchet commence à être assimilé au produit d’un abandon”, décrypte alors le sociologue Baptiste Monsaingeon dans un entretien pour le podcast Metabolism of cities.
Mais pour accompagner cette évolution, il aura fallu également la mise en place de politiques publiques hygiénistes, dont le symbole le plus fort est la généralisation de la poubelle, rendue obligatoire à Paris suite à l’arrêté du 24 novembre 1883. Bien entendu, à l’époque, on n’utilise pas encore le patronyme du préfet à l’origine de la loi, mais on parle d’ ” un récipient de bois garni à l'intérieur de fer blanc” que les propriétaires doivent mettre à disposition des locataires. Symboliquement, il est important de remarquer que le préfet Eugène Poubelle avait souhaité dès l’origine qu’un tri soit opéré par les habitants, incités à jeter leurs déchets coupants (verre, coquilles d’huîtres) dans une première boîte, et les ordures ménagères dans une autre. Ces boîtes à ordures sont d’ailleurs calibrées et conçues pour être aisément déversées dans le tombereau chargé de les enlever à des horaires réguliers, tandis que les concierges ont la lourde responsabilité de les sortir et de les garder propres.
On pourrait s’imaginer aujourd’hui que la population d’alors, lasse de vivre au milieu des ordures, allait être soulagée voire, mieux, allait unanimement plébisciter cette réforme. Il n’en fut rien. A l'époque, cette décision fait au contraire l’objet de critiques virulentes de la part de ses opposants et de moqueries incessantes dans la presse satirique. Dans un passionnant article intitulé “Eugène Poubelle mis en boîte ! ”, l’historienne et conservatrice Agnès Sandras révèle le contenu étonnant de ces polémiques. Tout d’abord, on reproche au préfet de la Seine d’avoir négocié avec des fabricants de bacs à ordures en sous-main, par conséquent de s’approprier les ordures des citoyens sans les avoir rémunérés. Autre critique qui pourra surprendre, le caractère égalitaire de la mesure : à cause de la poubelle, le bourgeois fortuné comme le domestique se retrouveront avec leurs épluchures dans la cour de l’immeuble !
Eugène Poubelle, le préfet qui voulait assainir Paris
Inventeur de la poubelle et précurseur du tri sélectif, le préfet de la Seine révolutionne l’hygiène à Paris et en France. Mais comment le patronyme Poubelle s’est-il retrouvé associé à nos bacs à ordures ?
Eugène Poubelle est né en 1831 à Caen dans une famille bourgeoise. Après des études de droit qui le mènent jusqu’au doctorat, le jeune homme commence une carrière en tant qu’universitaire. Ce n’est qu’à 40 ans, que ce professeur émérite inaugure ses fonctions administratives puisque c’est Adolphe Thiers, président de la IIIe République, qui le nomme préfet de Charente en 1871. Jusqu’en 1883, Eugène Poubelle sillonne les préfectures de France et passe par l’Isère, la Corse et même les Bouches-du-Rhône.
En 1883, donc, Eugène Poubelle pose ses valises à Paris et devient préfet de la Seine, une charge qui correspond peu ou prou à celle de maire de la capitale — occupée une trentaine d’années plus tôt par le baron Haussmann.
Convaincu par les idées hygiénistes, Poubelle, qui prend ses fonctions en octobre, publie dès le mois de novembre, le 24 très exactement, un arrêté qui organise le ramassage des déchets à Paris. Une mesure qui va révolutionner le quotidien des Parisiennes et des Parisiens.
Cet arrêté va obliger les propriétaires à fournir à leurs locataires des « récipients de bois garnis de fer-blanc » munis d’un couvercle afin de recueillir les déchets. Ces récipients sont ensuite déposés dans la rue par les concierges des immeubles pour qu’ils soient ramassés. Mais ce n’est pas tout, le préfet Poubelle imagine également les prémices du tri sélectif : une boîte supplémentaire va accueillir les papiers et chiffons tandis qu’une troisième reçoit les débris de vaisselle, le verre et les coquilles d’huîtres.
Les Parisiens tout comme les médias s’insurgent contre ces changements. Le Petit Parisien de Paris titre le 10 janvier 1884 : « Vous verrez qu’un de ces jours, le préfet de la Seine nous forcera d’aller porter nos ordures dans son cabinet. »
Le 15 janvier 1884, la mesure est appliquée, et l’on accuse alors le préfet Poubelle de vouloir faire disparaître les chiffonniers, condamnés à diminuer leur activité. Le 16 janvier, un article du Figaro évoque pour la toute première fois les « boîtes Poubelle », qui deviendront dans le langage courant les « poubelles ». C’est d’ailleurs dès 1890 que le mot « poubelle » fait son apparition dans le Grand Dictionnaire universel du xixe siècle. Il figurera quelques pages plus loin que l’adjectif « haussmannien », et prendra — injustement ! — une connotation bien moins laudative.
Dans sa lancée hygiéniste, Eugène Poubelle ne s’est pas cantonné au ramassage des ordures — il est aussi à l’origine des premiers arrêtés imposant le tout-à-l’égout.
Le préfet finit par quitter Paris en 1896 pour le Vatican, où il est nommé ambassadeur de France, mais c’est dans l’Aude qu’il termine sa carrière, en tant que conseiller général du département jusqu’en 1904. Eugène Poubelle meurt le 15 juillet 1907 à son domicile parisien. Aujourd’hui, une rue porte son nom à Paris dans le XVIe arrondissement. Il s’agit de la plus petite rue de la capitale puisqu’elle a la particularité de n’avoir qu’un seul numéro. Pratique pour ramasser les poubelles.
Dans Le Journal amusant, une histoire met ainsi en scène un couple bourgeois et sa bonne en train de faire le tri des déchets :
« La Bonne. - L’os du gigot doit-il aller avec les coquilles d’huîtres ?
M. Bellavoine. - Évidemment : il est impropre à l’agriculture.
Madame Bellavoine. - Moi, je le mettrais du côté des ordures ménagères ; on en fait du noir animal.
M. Bellavoine. - Pour raffiner le sucre. Ça ne fait rien pousser dans les champs.
La bonne. - Zut ! je le fourre au milieu... et le vieux pouf de madame ?
Madame Bellavoine. - Sur les chiffons... Ils sont stupides avec leur classement de détritus : il faudrait autant de récipients que de catégories d’objets. »
Enfin, la presse est chiffonnée par le destin des chiffonniers : que vont-ils devenir puisqu’ils ne peuvent plus fouiller les ordures, toutes entassées et enfermées dans cette boîte ? Dans la poubelle, tous les détritus s’emmêlent, et leur qualité s’altère. Face à la protestation des chiffonniers et de leurs alliés, Eugène Poubelle assouplit la réglementation et les autorise à trier les déchets sur un drap blanc avant le passage du tombereau. Malgré tout, la naissance de la poubelle signe la fin du règne des chiffonniers : “Ils sont peu à peu chassés hors des fortifications de Paris, vers la zone, raconte l’académicien Antoine Compagnon, car on a moins besoin d’eux. ls utilisent alors non pas une hotte mais une charrette et récupèrent un peu tout. Les ferrailleurs ont pris la suite, car la ferraille est recyclable de manière rentable, encore aujourd’hui.” Pour Sabine Barles, c’est dans les années 1930 que la société va renoncer définitivement à cette valorisation des déchets : l’incinération est trop coûteuse, les champs d’épandage nécessitent trop d’espace et trop d’eau, le chiffonnage pose trop de questions d’hygiène… Le développement des petites entreprises de collecte, le passage à l’automobile et aux bennes tasseuses qui compressent les déchets finissent par rendre quasiment impossible toute activité de chiffonnier, laissant la place à des métiers de plus en plus professionnels, même si socialement encore déconsidérés.
Les premières entreprises de collecte et de nettoyage : le transport au service de la propreté
Dans un premier temps, le nettoyage des rues et le ramassage des boues sont confiés à de multiples petites sociétés familiales. Contrairement au service de l’eau, le service des déchets ne nécessite dans un premier temps ni les importants capitaux, ni les importantes compétences techniques, commerciales ou contractuelles ayant conduit à l’émergence d’une Compagnie générale des Eaux (CGE). Ces sociétés se rémunèrent alors en partie en revendant les déchets valorisés. Mais au fur et à mesure que le coût du nettoyage augmente à cause de la croissance urbaine, et que la valorisation des boues et des chiffons diminuent, elles vont devoir renégocier régulièrement leurs contrats avec les villes. Certaines obtiennent de durables concessions renouvelées sans cesse et grandissent en conséquence, comme l’entreprise Grandjouan à Nantes, qui va nettoyer les rues de la ville et transporter les déchets de 1867 à 1947 ! Fondée par François Grandjouan et sa famille, la société dispose de 50 tombereaux, 80 chevaux, 60 conducteurs et 100 balayeuses pour effectuer ses missions.
À Nantes comme à Paris et Lyon, les autorités veulent inciter les habitants à participer à la propreté de la ville en instituant un “seau de nettoiement” destiné à recueillir les ordures, qui prendra le nom de “sarradine”, du nom d'Émile Sarradin, un industriel parfumeur qui avait proposé de créer une taxe municipale de balayage. Nous sommes alors en 1878 et l’entreprise Grandjouan doit faire face à une montagne de travail : enlever de la chaussée les boues, les ordures, les excréments, les poussières, les cendres, les verres cassés, les herbes, les feuilles d’arbres, les pierres éparses, mais aussi balayer les places, les quais, les escaliers, les promenades, nettoyer chaque jour les halles des marchés. Et même capturer les chiens errants… Tombeliers, chiffonniers et balayeuses travaillent dans des conditions d’hygiène terribles, utilisant des pelles, des râteaux, des pics, pour aller chercher l’ordure et la déposer dans le tombereau. Les seaux doivent obligatoirement être portés sur l’échelle puis déversés, un travail particulièrement usant.
La nécessité d’améliorer ces conditions va pousser ces PME locales de collecte et de stockage à se tourner vers la mécanisation des transports et l’amélioration des bennes et des tombereaux. Pour ce faire, elles s’associent parfois à d’autres entreprises qui se lancent dans la construction d’automobiles. Le passage des tombereaux hippomobiles aux tombereaux automobiles sera toutefois très lent. Alors que les premiers avant-train à roues motrices et directrices sont mises au point par un brillant inventeur, Georges Latil, dès 1897, il faudra attendre les années 1920 pour voir les chevaux véritablement remplacés par l’automobile, notamment pour des raisons d’hygiène, puisque les déjections animales sont désormais considérées comme sources de nuisances. En s’associant avec un jeune polytechnicien, Charles Blum, Georges Latil trouve enfin un repreneur inspiré pour son avant-train innovant. Blum voit en l’automobile l’industrie de l’avenir, et il investit dans l’entreprise la somme importante de 1 200 000 francs.
Les deux hommes fondent la Compagnie Générale d’Entreprises Automobiles (CGEA) en 1912. La Première Guerre mondiale vient rapidement confirmer les performances des tracteurs Latil, qui participent à la mobilisation nationale en fonctionnant sur des terrains accidentés, avec quatre roues directrices et motrices. Après guerre, celle-ci va fournir en tractions automobiles de nombreuses municipalités souhaitant les utiliser pour la voirie, notamment dans certains quartiers de Paris. Pour grandir, Charles Blum choisit de racheter des petites entreprises de transport en province, telles que la maison Robert Vallée à Caen, ou la maison Jean et Beuchère à Rennes, qui permettent à la CGEA d’obtenir le marché de la collecte des ordures ménagères dans ces villes en 1930 et 1934. Si les Grandjouan de Nantes rechignent pendant longtemps à abandonner leurs chevaux, ils finissent par céder devant l’éloignement progressif des décharges et des lieux de livraison des engrais, l’hippomobile ne pouvant pas dépasser les 8 kilomètres de distance. Le tracteur, lui, peut s’aventurer jusqu’à 25 kilomètres. Convaincus, les Grandjouan ajoutent à leur activité de propreté un service de transport.
La figure du chiffonnier, souvent locale, est peu à peu remplacée par celle du cantonnier ou de l’éboueur, accroché derrière son camion poubelle. Celui-ci passe à des horaires très matinaux et emporte les déchets de plus en plus loin, car les populations ne veulent plus habiter à proximité des dépotoirs. La problématique des déchets n’est plus tant de leur trouver une nouvelle utilité, que de les enterrer ou de les jeter à la rivière via le tout-à-l’égout. Ceux qui gèrent les déchets occupent des métiers pénibles, souvent déconsidérés, mais qui permettent aux citadins de vivre dans des villes propres. Aujourd’hui, les deux entreprises, Grandjouan et la CGEA, font partie de l’histoire de Veolia. “Pendant des décennies, les collectivités locales ont “bricolé” des solutions pour la collecte et la mise en décharge des ordures, nous explique Franck Pilard, directeur commercial “collectivités locales” de l’activité recyclage et valorisation des déchets chez Veolia. Certaines communes faisaient évacuer les déchets via un petit acteur local, le frère du maire, l’agriculteur de la famille, parfois jusqu’aux années 1960. Il s’agissait de sociétés familiales dont l’histoire était longue et qui ont été rachetées par la CGEA, quand il a fallu changer d’échelle sous la pression de la démographie, de l’urbanisation et de la consommation des ménages.”
En 1980, la CGEA est intégrée à la Compagnie Générale des Eaux, qui était déjà actionnaire de la société, dans la logique de consolider une offre de service cohérente aux collectivités : eau, assainissement, ordures, propreté. De sorte que l’activité dans la collecte et la valorisation des déchets de Veolia a deux origines. L’une par développement organique, biologique, «qui se fait de proche en proche» depuis la Compagnie, pour reprendre les mots de Paul-Louis Girardot, ancien directeur général et administrateur du groupe. La CGE avait ainsi développé, dès les années 1960, des activités dans la collecte des déchets, comme à Saint-Omer, où la municipalité constatait que « ça marchait mal », que ceux qui faisaient cela n’étaient « pas très sérieux », et avait besoin qu’on lui « tire une épine du pied ». Et l’autre par acquisition : en 1980, la CGEA est complètement intégrée à la Compagnie Générale des Eaux, qui était déjà actionnaire de la société. Il s’agit alors de consolider une offre de service cohérente – eau, assainissement, ordures, propreté – et, pour ce qui concerne les déchets, de massifier les volumes traités. En s’adressant aux collectivités mais aussi aux industriels, avec le rachat d’Ipodec, « dont le premier nom, “Ordures usines”, ne laissait pas de doute sur son cœur de métier ! », se rappelle Didier Courboillet, directeur général adjoint de l’activité Recyclage et Valorisation des déchets de Veolia. Une activité qui, un temps, se retrouvera sous la dénomination commune Onyx, jusqu’à la création de la marque Veolia.
DU CHIFFONNIER SALE À LA VIGIE SOCIALE : LA FIGURE DE L’ÉBOUEUR DANS L’HISTOIRE
« Éboueur, c’est les années 1970, c’est fini, ça. Là, on est en 2021, c’est ripeur, quoi ! » Dans la bouche de Jimmy, ce jeune tiktokeur qui travaille dans la propreté de sa ville et s’est bâti une notoriété sur les réseaux sociaux pendant le Covid, le glissement sémantique traduit bien le besoin de reconnaissance d’une profession qui n’a pas tant changé que ça en soixante-dix ans. Certes, il est loin, le temps où les cantonniers, les chiffonniers et les tombeliers travaillaient dans des conditions épouvantables, entre la fin du XIXe siècle et les années 1930. Du matin au soir, ils s’échinaient avec toutes les peines du monde à nettoyer des rues impraticables et difficiles d’accès, à porter de lourdes poubelles en métal en haut d’échelles de fortune pour les déverser dans la benne et à fouiller parfois à l’intérieur pour y faire un premier tri. Mais la pénibilité du travail reste une constante historique d’un métier aux prises avec les risques liés à la proximité des déchets et à la circulation routière. Le mot « éboueur » provient du mot « boues », qui désignait dès le Moyen Âge le mélange d’ordures ménagères, de terre, de sable, de déjections animales et autres résidus qui s’accumulaient sur la chaussée des grandes villes, notamment dans le caniveau central conçu pour les évacuer grâce à la pluie.
À cette époque, les « boueux », les « boueurs » – dont « éboueur » est un euphémisme – ou les « gadouilleurs » représentaient le dernier maillon de la chaîne de récupération des ordures. Même si la transformation en fumier de cette boue lui donnera de plus en plus de valeur, ce travail reste déconsidéré durant tout le XIXe siècle, et ce sont les chiffonniers les moins lotis ou les domestiques des agriculteurs qui s’en occupent. Avec l’invention de la poubelle et la prolifération des déchets au XXe siècle, le métier évolue : dans les grandes villes, des entreprises privées, comme la CGEA et la SITA à Paris ou Grandjouan à Nantes, s’associent parfois à des régies municipales pour effectuer le ramassage systématique des ordures. La figure des agents de propreté commence à ressembler à celle qu’on connaît : un conducteur de camion, deux chargeurs à l’arrière, qu’on appellera « éboueur » ou « ripeur », et une ou deux balayeuses, souvent des femmes à cette époque. Dans les années 1920-1930, le chiffonnier du tombereau, qui participait aux tournées pour faire du tri, est remplacé par un cantonnier municipal. En 1936, sous le Front populaire, les éboueurs se mettent massivement en grève et obtiennent leurs premiers avantages sociaux. Les employés qui travaillent pour les entreprises privées finissent au bout d’un long bras de fer par obtenir un statut avec les mêmes droits que les employés municipaux.
La mécanisation améliore également leurs conditions de travail, et les bennes compacteuses leur font gagner du temps, mais le métier en ville n’évoluera plus beaucoup pendant des décennies. Dans les campagnes, la collecte est plus artisanale et rustique, que ce soit en matière de matériel ou d’organisation. Le ramassage se fait avec une charrette et des chevaux, éventuellement un tracteur, par les chiffonniers, les ferrailleurs, les récupérateurs en tout genre et les agriculteurs locaux. Il faudra attendre au moins les années 1970 pour voir le système moderne se mettre en place un peu partout, sur le modèle de grandes villes comme Paris, Lyon ou Nantes.
Durant les Trente Glorieuses, le métier commence à connaître une meilleure reconnaissance, même si celle-ci reste très ambivalente. D’un côté, on sait gré aux éboueurs de nettoyer des villes où les déchets prolifèrent, d’un autre côté, rares sont ceux qui aimeraient voir leurs enfants embrasser la carrière. « Si tu ne travailles pas à l’école, tu finiras chez Grandjouan ! », menace-t-on à Nantes et dans sa région, se souvient Franck Pilard, directeur commercial RVD chez Veolia. Malgré tout, l’éboueur fait partie de la vie d’un quartier, d’un village, il convoque même des souvenirs d’enfance empreints de nostalgie pour certains. En 1969, le fameux dessinateur Marcel Gotlib met en scène « le boueux de [son] enfance » dans une bande dessinée de la série Rubrique-à-brac, avec des termes laudateurs sans une once de dérision : « Oui, c’était lui, accroché au flanc de sa machine, tel Apollon sur son char, rayonnant dans le soleil levant. » L’enfant Gotlib regarde le boueux faire sa tournée et repartir, « emportant avec lui un parfum de mystère et d’aventure », avant qu’un jour il réussisse à faire sa rencontre et à être initié aux joies du ramassage. L’écrivain Antoine Compagnon, auteur du livre Les Chiffonniers de Paris, regrette qu’on les aperçoive moins :
« Quand j’étais enfant à Paris, on les voyait dans la journée, ils ramassaient les ordures entre 7 heures et 8 heures du matin. Leur discrétion actuelle est aussi liée à la transformation des grandes villes, car les quartiers avaient conservé un sens du village qui s’est un peu perdu en même temps que les petits commerces. » Dans les campagnes et les petites villes, cette proximité ne s’est pas perdue. Le chercheur enseignant Marc Conesa habite un village des Pyrénées-Orientales dans lequel les éboueurs jouent encore un rôle de « vigie sociale » : « Ils créent une présence à des heures spéciales. Le matin, on les voit à la boulangerie avant ou après la collecte, ils vérifient que tout va bien, que la grand-mère a sorti sa poubelle, que le chien n’est pas sur la route, etc. Ce sont des acteurs qui ont une bonne connaissance des territoires, ils connaissent les horaires des habitants et des commerçants, ce sont eux qui retrouvent des gens perdus, malades ou ivres dans la rue. » Notre nouveau rapport aux déchets, à travers le tri, le recyclage, la valorisation, mais aussi les périodes de crise révèlent leur importance aux yeux de la population. Pendant le Covid, par exemple, les éboueurs étaient applaudis et recevaient des courriers de félicitations, mais les grèves de 2023 ont été diversement soutenues par les Français, 57 % d’entre eux souhaitant la réquisition des salariés.
Aujourd’hui indispensable pour conserver les villes propres, l’éboueur-ripeur est appelé à évoluer demain si la société veut répondre au défi de la réduction des déchets. Pour Franck Pilard, de Veolia, « il faut réduire la fréquence de collecte sur les ordures ménagères et diminuer le volume du bac pour accompagner les citoyens vers une consommation plus responsable. Ça implique de plus en plus de gens sur le sujet du réemploi, de la réparation, et l’accompagnement de nos agents pour qu’ils deviennent toujours plus ambassadeurs du tri. »
“Nous sommes à l’origine des récupérateurs, des ferrailleurs, des cartonniers”, confirme Martial Gabillard, directeur de la Valorisation des flux chez Veolia, fier de cet héritage et de cet état d’esprit concret et méticuleux qui a perduré à travers le temps. Aujourd’hui, comme en écho aux chiffonniers d’antan, cet ancien directeur régional à Rennes évoque les papetiers : “On fait tout pour eux, on gère leurs boues et on leur amène du papier à recycler. On s’occupe de leur approvisionnement, de leur apport en énergie via les boues et de leur traitement de l’eau, bref, on les accompagne sur les grands enjeux de leur métier.” Entre passé et présent, les métiers de la propreté retrouvent aujourd’hui au sein du déchet cette notion de flux, de valeur, de circularité, à la différence qu’il faut gérer des quantités et des types de déchets inédits.
“La collecte, ce n’était pas si compliqué, estime de son côté Franck Pilard, c’était surtout une évacuation à des fins hygiénistes, donc les municipalités pouvaient s’en charger. En revanche, le traitement des déchets a toujours nécessité des compétences et des investissements plus approfondis, c’est pour ça qu’aujourd’hui encore les municipalités délèguent davantage aux entreprises privées. Notre force, c’est ce modèle de la délégation de service public, qui permet à Veolia de laisser une trace à travers cette approche qui s’est diffusée dans le monde.” Au XXe siècle, l’âge de la récupération laisse ainsi progressivement place à l’ère du traitement des déchets. Désormais, il sera question de les transporter loin pour les incinérer, les enfouir mais de façon industrielle. “Couvrez ce déchet que je ne saurais voir”, tel pourrait être l’adage de l’époque. Le souci d’hygiénisme des villes prime sur tout le reste, bien avant que des considérations écologiques viennent questionner ce modèle.
À Londres, priorité propreté pour le quartier iconique de Westminster
Big Ben, le palais de Westminster – siège du gouvernement britannique –, le palais de Buckingham – siège de la monarchie britannique –, la Tate Britain, le parc de Saint-James, la gare de Victoria…, tous ces lieux emblématiques sont situés dans un seul et même prestigieux quartier en plein cœur de Londres : celui de Westminster. Et ce centre politique et touristique du Royaume-Uni fait l’objet de toutes les attentions.
Pour que ce quartier iconique soit à la hauteur des attentes des millions de personnes qui le traversent chaque jour, Veolia assure, depuis 1995, sa propreté 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Chaque semaine, 200 000 tonnes de déchets sont traitées et 8 400 kilomètres de rues, balayés. Les artères très fréquentées, comme Oxford Street et les environs de Piccadilly Circus, sont balayées deux ou trois fois par jour et la nuit pour garantir le respect des normes de propreté les plus strictes.
Ce quartier londonien est le siège de nombreux évènements annuels tels que le marathon de Londres, le carnaval de Notting Hill, la marche annuelle des fiertés, et bien sûr de grands événements royaux tels que la célébration des jubilés, des mariages, des couronnements, et des funérailles, aussi. Ainsi, outre l’entretien quotidien que requiert Westminster, les équipes de Veolia sont sur le pont pour assurer un service de propreté de première qualité lors de ces grands rassemblements. On voit alors s’affairer dans les rues de Westminster les véhicules électriques de la collecte des déchets, qui sont rechargés avec de l’électricité verte produite dans l’usine qui traite les déchets des habitants du quartier : la boucle est bouclée. Pour pousser le service de propreté encore plus loin, Veolia accompagne Westminster pour en faire une collectivité locale « zéro émission » d’ici à 2030, grâce à une flotte électrifiée et des méthodes de collecte innovantes.
Des prestations toujours encouragées à s’améliorer, avec un marché de performance qui rémunère l’opérateur en fonction de l’atteinte des objectifs fixés au contrat. Un moteur pour assurer une propreté de la ville de niveau… royal, au point de rendre au public dès le dimanche soir les rues utilisées le weekend pour le couronnement de Charles III.
- BARLES, Sabine. L’invention des déchets urbains. France : 1790-1970. Seyssel : Éditions Champ Vallon, 2005. 304 pages. ↩︎
- DUQUENNOI, Christian. Les déchets, du Big Bang à nos jours. Paris : Éditions Quae, 2015. 168 pages. ↩︎
- Charruadas Paulo. Conesa (Marc) & Porier (Nicolas), éds. Fumiers ! Ordures ! Gestion et usage des déchets dans les campagnes de l’Occident médiéval et moderne. Actes des XXXVIIIes Journées internationales d’histoire de l’abbaye de Flaran (14-15 octobre 2016). Toulouse, Presses universitaires du Midi, 2019. In: Revue belge de philologie et d'histoire, tome 98, fasc. 2, 2020. Histoire – Geschiedenis. pp. 520-523. ↩︎
- COMPAGNON Antoine. Les Chiffonniers de Paris, Paris : Gallimard, 2017. ↩︎
- Le Play, Frédéric. Les Ouvriers européens, Paris: Imprimerie impériale, 1855. ↩︎
- Grand champ faisant office de décharge à ciel ouvert, dans lequel différents types de déchets séchaient sur le sol de manière à obtenir de l’engrais. ↩︎
- COMPAGNON Antoine. Les Chiffonniers de Paris, Paris : Gallimard, 2017. ↩︎