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RÉCIT 3

Le 20 sept. 2023

Assainir et traiter : une nouvelle frontière pour la santé

Les entreprises qui ont amené l’eau courante dans les habitations n’avaient, au départ, pas prévu de s’occuper de leur assainissement. Ce n’est qu’avec décalage qu’elles ont dû le prendre en charge. Plus précisément lorsque, avec l’époque moderne, advient la fin de l’eau rare, période dans laquelle la ressource était affaire de prestige et de pouvoir plus que de confort et de service : cette nouvelle donne décuple dans des proportions considérables le volume des eaux souillées.

Or, par manque de moyens et de nécessité politique, les villes françaises ont longtemps été réticentes à investir dans l'assainissement : en 1909, seules 10 % des villes françaises de plus de 5 000 habitants appliquent le tout-à-l’égout contre 36 % de leurs homologues allemandes. Les entreprises privées ont donc pris en charge ce service qui a contribué à un aménagement unifié et juste du territoire de notre pays.

Grégory Quenet

Analysant en profondeur les ressorts de la prospérité et de la richesse des nations, le Britannique Angus Deaton, auquel a été décerné le prix Nobel d’économie en 2015, met l’assainissement au coeur de ce qui a permis « la grande évasion » de l’humanité, aux côtés des progrès de la nutrition et de la croissance. En augmentant l’espérance de vie, « non seulement presque tous les nouveaux-nés vivront jusqu’à l’âge adulte, mais chaque jeune adulte a plus de temps pour développer ses talents, ses passions et sa vie, énorme hausse des compétences et du potentiel de bien-être1 ». Une « grande évasion » bien plus engageante que celle du hussard qui, dans le roman de Jean Giono, se réfugie sur les toits pour échapper au choléra2. Les disciples saint-simoniens de Prosper Enfantin n’auraient pu espérer une plus éclatante réussite.

Ils n’avaient pourtant pas, dès 1853, toutes les clés pour relever le défi. L’apport d’eau venant de l’extérieur des villes ne s’est pas immédiatement accompagné de l’évacuation maîtrisée des eaux usées. Surtout, les réseaux se sont d’abord développés sans que l’on se préoccupe vraiment du traitement des pollutions de l’eau, en amont comme en aval de leur consommation. Si des techniques anciennes de traitement existaient bien, il a fallu de nombreuses innovations mais aussi des moyens financiers importants pour assurer durablement la santé des populations et l’accroissement de leur espérance de vie. Comment les territoires se sont-ils saisi de l’enjeu consistant à transformer une eau insalubre en eau saine, buvable sans risque ? Comment les scientifiques ont-ils trouvé le moyen d’assainir les eaux usées rejetées dans le milieu naturel ? Effluents industriels, agricoles, domestiques, impact du dérèglement climatique sur les pollutions aquatiques… où en est l’innovation en termes de traitement ? Retour sur ces progrès rendus possibles grâce à des générations de chimistes et de biologistes.

Les prémices de la potabilisation et du traitement de l’eau

Avec plus de 70 critères de qualité, sanitaires ou environnementaux, l’eau du robinet est devenue l’un des produits alimentaires les plus contrôlés en France. Pourtant, la notion de “potabilité” et “d’assainissement” varie en fonction des époques et des connaissances scientifiques. À l’origine, l’eau que l’on dit « potable » est puisée directement dans les cours d’eau ou dans les nappes souterraines sans autre intervention. Mais plusieurs millénaires avant Jésus-Christ, les populations se rendent compte qu’une eau turbide ou qui dégage une mauvaise odeur peut être incommodante. « Le concept de qualité de l’eau et de traitement est connu depuis longtemps. Les Égyptiens utilisaient des sels d’aluminium, l’alun, pour faire de la coagulation, utilisée pour le traitement de l’eau », pose Philippe Hartemann, professeur de santé publique à l’Université de Nancy.

Le Moyen-Âge constitue, en la matière, une période de régression : aucune innovation majeure du point de vue du traitement de l’eau n’apparaît en près de mille ans. Au contraire, les eaux usées et les déchets sont jetés directement dans les rues et les sources d’eau potable se retrouvent contaminées par les écoulements et les infiltrations. Selon la Bibliothèque Nationale de France, la première évocation d’un égout qui ne soit pas à l’air libre à Paris date de 1325. Il s’agissait d’une galerie qui passait sous l’Hôtel de Ville pour déboucher dans la Seine. Cette période sombre, qui fait encore l’objet d’un discrédit parfois exagéré que le manque de salubrité des villes a participé à façonner, prend fin grâce au développement de la science et à une découverte majeure : celle du microscope en 1670. La recherche va dès lors avancer à pas de géant puisque l'appareil permet aux scientifiques d’observer, notamment, de minuscules particules dans l’eau. Tout au long du XVIIIe siècle, des filtres à eau en éponge, en laine ou en charbon de bois se répandent au sein des foyers. À la même époque, les riches propriétaires ont recours à de grandes cuves en bois brûlé pour conserver l’eau dans de meilleures conditions.

© Pexels

Au milieu du XIXe, la circulation avant la purification

Mais c’est par le réseau que va d’abord passer la révolution hygiéniste. Le mouvement sanitaire, qui a commencé à la fin du XVIIIe siècle, prend de l’importance en 1832, lors de la toute première épidémie de choléra à Paris. La virulence de la maladie, qui tue 30 000 personnes à Paris et 100 000 dans tout le pays, met en lumière l’importance de la salubrité des villes. À cette époque, les scientifiques adhérent à la théorie des miasmes, selon laquelle les maladies se transmettent entre individus via une vapeur toxique remplie de particules. Ce qu’il faut d’abord, c’est créer le mouvement, et c’est ce à quoi sert le réseau. Comme l’analyse Alain Corbin, d’après leurs conceptions, « le modèle de la circulation sanguine induit, dans une perspective organiste, l’impératif du mouvement de l’air, de l’eau, des produits. Le contraire de l’insalubre, c’est le mouvement.[…] La vertu du mouvement incite à la canalisation et à l’expulsion de l’immondice. […] Assécher la ville par le drain, c’est désamorcer la stagnation putride généalogique, préserver l’avenir de la cité, assurer, par la technique, la régulation que la nature, seule, ne saurait opérer dans ces lieux d’entassement artificiel3 ». 

Les découvertes du médecin britannique John Snow, à Londres, si elles sont vigoureusement contestées par la communauté scientifique lorsqu’il les présente, viendront renforcer l’attention portée à l’alimentation en eau. C’est lui qui, en effet, met en évidence la transmission du choléra par l’eau contaminée à la suite à l’épidémie de Londres de 1854, et non par l’air vicié. « Il a remarqué qu’il y avait plus de malades d’un côté de la rue que de l’autre. Grâce à son étude épidémiologique, il a démontré que les malades étaient allés chercher de l’eau dans une fontaine dont l’eau était contaminée. Une fois que l’accès à cette fontaine fut interdit, l’épidémie disparut », rappelle Philippe Hartemann. Ces découvertes encouragent la dynamique engagée par les villes pour s’approvisionner en eau ailleurs que dans leurs puits.

À Paris, « pour améliorer la qualité de l’eau consommée, une stratégie de diversification des ressources est mise en place. Dans un premier temps on va chercher une eau plus lointaine ou plus profonde, afin qu’elle soit plus pure », précise Séverine Dinghem, directrice du Soutien aux métiers et de la Performance de Veolia. Pour répondre au défi de la diversification des ressources, le baron Haussmann va lancer la construction d'aqueducs qui alimentent Paris grâce à l’eau puisée dans les sources du Havre ou directement dans la Dhuys. Le traitement de l’eau est loin de s’imposer comme la meilleure manière de disposer d’une eau de qualité, au contraire : “À l’époque, Haussmann et son directeur du service des eaux Belgrand faisaient du fait d’alimenter Paris avec une eau naturellement pure et fraîche un objectif politique, rappelle Paul-Louis Girardot, ancien DG et administrateur de la CGE. Lors de l’exposition universelle de 1867, dans la compétition lancée entre Napoléon III et la Reine Victoria, ils en faisaient la preuve d’une supériorité française retrouvée. Et pour assurer à long terme cet objectif, il était dans les plans d’Haussmann d’aller puiser l’eau dans les alluvions de la Loire et de la mener jusqu’à Paris de façon gravitaire”.

À l’inverse, comme le rappelle Bernard Barraqué, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de l’eau, la ville de Lyon fait le choix de la proximité en puisant l’eau de ses rivières ou des nappes phréatiques. L’usine de Saint-Clair, exploitée par la Compagnie Générale des Eaux pour la ville de Lyon, traite sommairement l’eau du Rhône en la filtrant naturellement dans deux immenses bassins souterrains. L'évacuation des eaux usées tourne également à l’enjeu dans la capitale française où « la qualité et la collecte des eaux usées va rapidement devenir un sujet pour éviter de contaminer les points de distribution d’eau potable », précise Séverine Dinghem. D’autant plus que plus la consommation d’eau augmente, plus la quantité d’eaux souillées croît elle aussi. Et c’est pour répondre au besoin de salubrité publique que les premiers réseaux d’assainissement vont voir le jour à Paris, à l’heure des grands travaux d’Haussmann, grâce à l’ingénieux système d'égouts d’Eugène Belgrand.

 Débitmètre (Glenelg Sewers Department)

Ce polytechnicien, ingénieur des Ponts et Chaussées, va transformer Paris en créant un double réseau souterrain unifié : l’un apporte l’eau potable tandis que l’autre élimine les eaux usées à travers les égouts. L’objectif d’Eugène Belgrand est multiple : évacuer les eaux pluviales, industrielles et ménagères et permettre un nettoyage des galeries par des wagons-vannes. Sous chaque rue parisienne, il coordonne l’installation d’un égout. Au total, l’ingénieur fait construire 600 kilomètres d’égouts sous les pieds des Parisiennes et des Parisiens. « Ce qui fait la singularité du réseau parisien, c’est qu’il est visitable. Grâce à cela, aujourd’hui encore, on peut diagnostiquer et localiser une fuite à l'œil nu sur la plus grande partie du réseau et à moindre coût en réalisant une inspection ou même en envoyant un drone », indique Séverine Dinghem.

De façon moins monumentale, la Compagnie Générale des Eaux développe aussi ses expertises et signe, en 1880, son premier contrat avec Boulogne-sur-Mer en intégrant la gestion des eaux usées. « Il prévoit en effet la construction d’un réseau d’égouts, prenant en charge l’évacuation des eaux usées et des matières fécales qui, jusqu’alors, se déversent… dans l’avant port st le port d’échouage4 ! ». Elle construit alors 16 kilomètres d’égouts pour compléter l’équipement de la ville. Le réseau d’assainissement tel que nous le connaissons aujourd’hui met évidemment du temps à voir le jour, mais il fait un grand pas à partir de 1894 et de la loi qui impose le tout-à-l’égout.

Entre crises sanitaires et découvertes scientifiques, les débuts du traitement moderne

Les réseaux d’eau ont donc d’abord eu pour fonction d’aller chercher à l'extérieur des villes de l’eau claire en quantité et ceux d’assainissement de relarguer au loin les eaux putrescibles : en phase avec les théories aéristes, ils ne font alors que créer le mouvement pour éviter la stagnation, et pour in fine seulement élargir le cercle des pollutions identifié par John Snow. À ses débuts, « le mouvement sanitaire n’avait aucune science pour guider ses efforts », souligne ainsi Angus Deaton5.

Mais une révolution scientifique voit le jour à la fin du XIXe siècle et va accélérer la prise de conscience de la nécessité de traiter la ressource : peu à peu, la théorie des miasmes cède la place à la théorie microbienne. Aux travaux en épidémiologie du britannique John Snow succèdent ceux des Allemands Robert Koch et Karl Joseph Eberth, qui posent les bases de la microbiologie, puis ceux du français Louis Pasteur, qui en sera l’une des figures les plus célèbres.

Grâce à eux, nous pouvons désormais dire que « tout ce qui pue ne tue pas, et tout ce qui tue ne pue pas », rapporte Alain Corbin6. La corrélation entre l’eau contaminée par des microbes et les maladies est scientifiquement démontrée. « Nous buvons 90 % de nos maladies », énonce Pasteur en 1881.

Ces découvertes permettent de comprendre les problèmes sanitaires qui subsistent à la création des réseaux, et d’y apporter les réponses avec la mise en place de méthodes de traitement. « La science finit par rattraper la pratique, la théorie microbienne des maladies fut comprise et peu à peu mise en application, par le biais de mesures plus ciblées à fondement scientifique ». L’histoire du traitement moderne, après celle des réseaux, s’engage. Mais « passer de la théorie microbienne à l’assainissement et à l’eau sans danger prend du temps et exige argent et autorité ». Cela exige aussi « des compétences en ingénierie et en surveillance, pour garantir que l’eau n’est réellement pas contaminée » 7.

Louis Pasteur, père de la microbiologie et fer de lance du mouvement hygiéniste


Louis Pasteur a laissé un héritage indélébile dans nombre de domaines de recherche, dont la santé publique et le rôle de l’eau dans l’hygiène. Le chimiste et physicien de formation a en effet contribué à la prise de conscience collective que l’eau pouvait contenir des microbes et véhiculer des maladies.

Dans l’imaginaire collectif, la figure de Louis Pasteur, ce sont ces yeux intelligents qui fixent l’objectif du photographe Félix Nadar avec intensité. C’est aussi le père de la médecine moderne, l’inventeur du vaccin contre la rage, l’homme qui a donné son nom à un procédé, la pasteurisation, qui permet de conserver nos aliments et boissons plus longtemps. Mais combien connaissent le rôle pivot qu’il a joué dans la sécurisation de l’eau que nous consommons ?

Né le 27 décembre 1822 à Dole, dans le Jura, Pasteur est admis à 21 ans à l’École normale, où il étudie la physique et la chimie physique. Il soutient en 1847 à la faculté des sciences de Paris ses thèses pour le doctorat en sciences. Dix ans plus tard, il est nommé administrateur chargé de la direction des études à l’École normale supérieure.

Biologie, agriculture, médecine ou hygiène, le chercheur se distingue dans de nombreux domaines et repousse les frontières de la connaissance scientifique de son temps, posant les bases de ce que nous savons aujourd’hui sur les germes et leur rôle dans les maladies. Pasteur consacre ainsi une grande partie de sa carrière à l’étude des maladies hydriques, provoquées par l’eau contaminée et le manque d’assainissement, et notamment au choléra.

L’homme reste dans les mémoires pour sa démonstration de l’existence des microbes, qui se développent entre autres dans les milieux aquatiques. Après des luttes mémorables contre ses contradicteurs, notamment Félix Pouchet, célèbre biologiste et grand défenseur de la génération spontanée, Louis Pasteur publie en 1861 et 1862 ses travaux réfutant cette théorie. Selon lui, les poussières de l’atmosphère renferment des micro-organismes qui se développent et se multiplient : aucun être vivant n’apparaît du néant. Pire : ces microbes peuvent provoquer des maladies, et contaminer des populations entières. Dès lors, il convient de les éviter et de les combattre. 
Ce faisant, Louis Pasteur alimente le mouvement hygiéniste en soulignant l’importance de la propreté, notamment de l’hygiène des mains, et donc le rôle que l’adduction d’eau peut jouer pour lutter contre les maladies. Apportant les preuves dont la théorie microbienne a besoin pour triompher de la théorie des miasmes, il énonce aussi que l’eau peut charrier des maladies sans qu’on le voie ni qu’on le sente, et qu’elle peut nécessiter des traitements pour les éliminer.

S’intéressant de près à la vie des micro-organismes, il contribue dans le même mouvement à poser les bases des premiers traitements, en mettant en évidence le rôle que peuvent jouer des filtres ou les micro-organismes eux-mêmes, qui sont capables de se dévorer, de s’annihiler les uns les autres ‒ c’est le principe des boues activées particulièrement utilisées dans les stations d’épuration.
Les découvertes de Pasteur elles non plus n’ont rien à voir avec la génération spontanée des idées dans l’esprit fer- tile d’un génie : elles sont le fruit de l’expérience, ne s’enchaînent pas sans erreurs et s’insèrent dans une longue série de progrès scientifiques.
La découverte du vaccin antirabique en 1885 vaudra à Pasteur sa consécration dans le monde : il recevra de nombreuses distinctions. L’Académie des sciences propose la création d’un établissement destiné à traiter la rage: l’institut Pasteur naît en 1888. L’homme meurt le 28 septembre à Villeneuve-l’Étang, dans une annexe de l’Institut qui porte son nom. Il laisse en héritage une modification profonde de notre rapport à l’eau, résumée dans cette citation apocryphe : « Nous buvons 90 % de nos maladies. »

Traiter l’eau que l’on boit : des nouvelles techniques au renforcement de la surveillance

Pour que l’eau qui parvient aux robinets des Français soit de la meilleure qualité possible, les usines de production d’eau potable, et notamment celles exploitées par les ingénieurs de la Compagnie Générale des Eaux, s’équipent dans un premier temps de systèmes de filtration lente sur sable : ils enlèvent d’abord la turbidité de l’eau – ce qui lui donne sa couleur. Ces systèmes sont progressivement complétés par des dispositifs de décantation et de coagulation qui sédimentent les particules et les font couler au fond des bassins avant le passage de l’eau dans les filtres, améliorant considérablement la qualité de l’eau distribuée. En Allemagne, Koch fait installer de grands filtres à sable pour alimenter Hambourg en eau et met ainsi fin à une épidémie de choléra. Grâce aux travaux de Pasteur, à la fin du XIXe siècle, les filtres peuvent mieux éliminer les microbes. C’est le cas du filtre qui porte son nom, le filtre Pasteur, imaginé par Chamberland, biologiste et physicien français. Équipé d’une bougie en porcelaine, il filtre les liquides et peut retenir les micro-organismes contenus dans l’eau.

Ingénieurs et dirigeants de la Compagnie Générale des Eaux sont attentifs aux nombreuses évolutions scientifiques et accompagnent les initiatives qui visent à augmenter la capacité de traitement de l’eau en France. « Après s’être penchés sur les méthodes de filtration pratiquées en Allemagne et en Angleterre, ils concluent qu’elles ne sont pas suffisantes pour obtenir une eau potable de qualité. Ils se prononcent en faveur de la méthode par coagulation concrétisée par le procédé dit “Anderson”, à base de fer », narre Patrick Gmeline8.

Photo d'un filtre Pasteur-Chamberland


Ainsi les usines dédiées se multiplient, transformant un peu plus notre rapport à l’eau, qui passe d’une ressource naturelle à portée à main à une ressource que l’on achemine, s’apparente de plus en plus à un bien nécessitant à son tour la transformation, l’intervention de l’homme. Dans la capitale, où la qualité de l’eau reste instable, « la Compagnie Générale des Eaux est sollicitée pour participer au progrès de la pureté de l’eau parisienne ». L’usine de Choisy-le-Roi, construite en 1861, dispose de filtres lents sur sable à partir des années 1890 : une première du genre en France.

Des travaux importants sont « entrepris par la Compagnie dans les deux stations de Méry-sur-Oise et de Neuilly-sur-Marne », et les premières expériences sur les nouveaux systèmes de filtration sont conduites à l’usine de Boulogne-sur-Seine.

Mais cela ne suffit pas. « En 1892, Paris et des banlieues sont à nouveau durement touchées par le choléra qui va tuer 1 800 personnes. Alors qu’en amont de la capitale, où l’eau du fleuve est relativement pure, le choléra ne cause qu’un nombre minimum de victimes, en aval des déversoirs des égouts, la mortalité est bien plus considérable ». S’ensuivent deux conséquences. La première tient à la révision du schéma général de distribution, dans lequel il est convenu que la Compagnie « regroupe ses usines filtrantes en amont de la Seine », à Choisy-le-Roi. La seconde porte directement attention à la qualité de l’eau produite, « puisée dans des zones réputées propres » et surtout « épurées par le traitement au fer suivi d’une filtration au sable »9. Au début du siècle suivant, les traitements physico-chimiques de l’eau par ozone, ultraviolets ou chlore viennent compléter le filtrage de l’eau avec la désinfection. Ces découvertes coïncident avec la loi relative à la santé publique de 1902 qui oblige, pour la toute première fois, les communes à respecter un certain nombre de critères de qualité de l’eau. « Les hygiénistes ont fait passer dans la réglementation la recherche d’indicateurs de contamination fécale. Quand on en trouvait dans l’eau, elle était classée à risque pour la consommation humaine », précise le professeur Philippe Hartemann.

Nice joue un rôle singulier dans la mise au point du premier de ces nouveaux traitements, l’ozone. À Nice comme à Paris, la qualité de l’eau apportée par les réseaux est restée insatisfaisante. Un chimiste local, Marius-Paul Otto, va s’appuyer sur la découverte de de ce gaz artificiel fait de trois molécules d’oxygène, réalisée par le hollandais Martin Van Marum en 1781, et sur celle de ses vertus bactéricides, réalisée par l’allemand Ohlmüller en 1891, pour mieux traiter l’eau. « Le principe en était simple : en produisant de l’ozone à travers l’électricité, on pouvait détruire dans de fortes proportions microbes et matières organiques contenues dans l’eau… Mais, pour que le procédé soit utilisable à grande échelle, il faudrait naturellement produire l’ozone industriellement »10. C’est ce à quoi Otto parvient.

Si la Compagnie est intéressée par ses travaux, elle reste d’abord prudente face à cette innovation et refuse de s’engager financièrement – contrairement à ce qui adviendra plus tard, où elle intégrera en son sein la Compagnie Générale de l’Ozone créée par Otto. Mais les choses s’engagent sur le terrain des opérations. Le conseil municipal de Nice donne en 1905 à la Compagnie Générale de l’Ozone « le feu vert pour mettre en place son procédé d’ozonation » sur le site de Bon Voyage exploité par la CGE. L’unité d’ozonation, la première au monde de ce type, est mise en service en 1907. Deux autres suivront immédiatement à Nice puis dans toute sa région. En quelques années, elle « est considérée partout comme ayant l’eau la plus saine de France »11. Le procédé se développera ensuite dans le pays et à l’étranger.

Au-delà des traitements techniques, c’est l’importance de la surveillance que vient souligner la fièvre typhoïde qui survient à Lyon en 1928. Le bilan y est très lourd, avec plus de 300 morts. « En cause : un aqueduc construit par le PLM, situé entre deux puits de captage et devenu au fil des ans un égout dans lequel se jetaient les eaux résiduelles de nombreuses villas, construite à Vassieux, près de l’usine du même nom appartenant à la compagnie ». Des mesures sont prises, telles la protection accentuée des zones de captage, mais, pour renforcer la qualité de la surveillance « la mise en place d’un laboratoire voué à la qualité bactériologique des eaux »12.

Traiter l’eau que l’on rejette : de l’épandage aux stations d’épuration

Rapidement, le lien entre l’amélioration de la qualité de l’eau consommée et celle de l’eau rejetée est établi. À Paris, à l’origine du système construit par Eugène Belgrand, les eaux usées sont évacuées vers deux sites situés à Asnières et Clichy, en proche banlieue parisienne. Toutefois, les 400 000 mètres cubes d’eaux souillées rejetés chaque jour dans la Seine créent une pollution très importante. Eugène Belgrand opte alors pour une solution alternative : l’épandage, inspiré en cela par des pratiques encore en vigueur, les vidangeurs de fosses septiques étant habitués à revendre le produit de leurs purges comme engrais.

« On s’est rendu compte que rejeter des eaux usées dans les cours d’eau n’était pas la bonne option, car même si ceux-ci ont une capacité auto-épuratoire, ils éliminent les nutriments seulement quand ils sont présents dans une certaine quantité. Rejeter les eaux usées en dehors des villes n'était pas suffisant, il fallait les traiter quand il y en avait trop. À Paris, cela a commencé par le rejet des eaux usées dans les champs », souligne Sophie Besnault, ingénieure de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE). C’est sur la plaine de Gennevilliers, que l’on tente alors d’infiltrer les eaux usées dans le sol. « C’est une première partie de traitement parce qu’on réutilise les nutriments par le sol pour faire pousser des plantes. Mais on s’est rendu compte qu’il n’y avait pas assez de terre pour pouvoir déverser toutes les eaux, cela saturait. C’est à partir de là que l’on a commencé à construire les premières stations d’épuration », ajoute Sophie Besnault. 

La SARP : de l'évacuation au traitement

En 1937, Charles Dubreuil crée la SARP: la Société d’assainissement de la région parisienne. C’est une entreprise de vidange qui en agrège de plus petites. L’enjeu: bénéficier de la prime à la part de marché qui existe dans ce secteur fonctionnant au bouche-à-oreille ‒ plus nombreux sont les clients, plus nombreux sont les prescripteurs, et, à nouveau, plus nombreux sont les clients ‒ et massifier les quantités d’excréments utilisés comme engrais en épandage.
Les sociétés de vidange sont à cette époque créées par des agriculteurs à la recherche d’amendement pour leurs champs, à l’image de la CIG, qui rejoindra la SARP dans les années 1980 : elle avait à l’origine été fondée par un cultivateur de tulipes de Gonesse dans le Val-d’Oise.

Le succès de la SARP, qui émerge dans un secteur atomisé de petits acteurs, est le symbole d’un changement d’ère, du passage d’une démarche rudimentaire à une approche plus technique, de la seule évacuation des boues à leur traitement. Les camions remplacent les hommes et les chevaux, ils coûtent cher et nécessitent des fonds.
Les centres de traitement surtout, avec une offre qui s’enrichit, ont besoin de volumes pour fonctionner. La SARP sent bien l’air du temps qui accorde une importance grandissante à la science. Elle change dans les années 1960 le sens de son acronyme, qui devient : Société d’Assainissement Rationnel et de Pompage. Animée d’un esprit entrepreneurial, la SARP développe alors ses activités par capillarité et en en faisant un terrain d’innovation permanent.

« À partir de la fosse septique individuelle, on s’est dit qu’il y aurait tout intérêt à curer les réseaux d’assainissement collectifs et à offrir des solutions pour la vidange et le nettoyage d’équipements industriels », raconte Marc-Olivier Houel, qui a été directeur général de la SARP de 2013 à 2023. « Et puis comme les déchets issus du pompage étaient sableux, graisseux, huileux et dangereux, nous avons rapidement mis en place des solutions idoines pour protéger l’environnement, accompagner nos clients et monter en compétence notre métier. »

Sur le front de la vidange, à côté de l’activité de nettoyage des fosses septiques individuelles qui a continué à prospérer ‒ la France a une densité trop faible pour raccorder chaque foyer au réseau, contrairement aux nations d’Europe du Nord, et elle compte toujours au moins 4 millions de fosses septiques ‒, s’est développée l’activité de curage des réseaux d’assainissement des villes et des industries. Dans les années 1980, les premières techniques d’inspection à distance apparaissent, d’abord avec des caméras VHS, « avant d’aller jusqu’à recourir au drone aujourd’hui », souligne Yannick Ratte, directeur général de la SARP en 2023. D’autres innovations se présentent, comme la technologie Vertigo qui, en projetant une pellicule d’époxy à l’intérieur des canalisations, permet de les réhabiliter sans avoir à détruire les colonnes, à la plus grande satisfaction des bailleurs. 

Sur le front du traitement, c’est à partir des centres que des techniques sont imaginées pour traiter les déchets dangereux.

Car avec le développement de l’industrie, ces déchets affluent : « À qui Renault, pressentant des enjeux environnementaux à venir, pouvait-il penser à l’époque pour pomper les résidus des bacs de peintures de son usine de Boulogne- Billancourt ? À la SARP », rappelle encore Marc-Olivier Houel. Cela a permis à la Compagnie Générale des Eaux, qui a intégré la SARP en son sein en 1970, d’avoir de premières solutions lorsqu’elle a été confrontée quelques années plus tard à des pollutions sur l’usine d’eau potable de Méry-sur-Oise, pour les traiter à la source et donner, rapidement ensuite, naissance à SARP Industries, devenue entre-temps la référence en matière de traitement de déchets dangereux.

En parallèle, la SARP a innové en lançant les premiers centres de traitement des boues de curage en lavant les sables et en valorisant les résidus graisseux nobles, une première en France. Autant de développements et d’innovations qui positionnent aujourd’hui cette entité de Veolia à la croisée de tous ses métiers.

Du côté des avancées scientifiques, l’innovation majeure du début du XXe siècle est la découverte en 1914 par deux chercheurs anglais, Edward Ardern et William Lockett, des cultures libres ou boues activées. Le principe ? Utiliser des bactéries naturellement présentes dans la nature pour purifier les eaux usées. « Dans des bassins, on va injecter de l’air qui va servir à faire vivre les bactéries. Lorsqu’elles vivent, les bactéries mangent des nutriments. Par décantation, on sépare ces bactéries de l’eau, on les place dans de grands bassins puis elles tombent au fond de ces bassins », indique Sophie Besnault. Aujourd’hui encore, les boues activées, solution fondée sur la nature, sont le procédé majoritairement utilisé pour le traitement des eaux usées dans notre pays. « La moitié des stations d’épuration en France fonctionne avec les boues activées. C’est le cas de toutes les stations supérieures à 10 000 équivalents-habitants », ajoute-t-elle.

La première station d’épuration française voit le jour en 1940 à Achères dans les Yvelines, après trois années de travaux. À ses débuts, le service de l'assainissement dépend entièrement de l'État. Comme le rappelle Séverine Dinghem, « le secteur privé, et donc la Compagnie Générale des Eaux, a été tardivement associé à la collecte et surtout au traitement des eaux usées, car ce service public était directement financé sur fonds publics, non par les usagers » – et on a mesuré l’importance de la relation aux usagers dans le recours aux entreprises privées. Dans un second temps seulement, après la Seconde Guerre mondiale et surtout après la loi française sur l’eau de 1964, la facturation de l'assainissement à l’usager, la complexification des pollutions industrielles et le développement des technologies motiveront le lancement des partenariats entre public et privé et l’équipement du territoires en stations d’épuration.

La station d'épuration d'Achères
© ToucanWings


In fine, des méthodes aux fondements similaires sont utilisées pour le traitement des eaux potables et des eaux usées : des procédés physico-chimiques, biologiques et chimiques, qui s’appuient sur l’oxydation des composés. Depuis le début du XXe siècle, ces méthodes ne cessent de progresser, pour consommer moins d’énergie, utiliser moins d’espace, traiter de plus grandes quantités d’eau et éliminer des pollutions toujours plus pointues. Au fil des ans, d’ailleurs, plus les pollutions deviendront complexes, plus ces procédés seront associés les uns aux autres, pour venir à bout des plus tenaces et aller jusqu’à produire, à partir des années 1970, de l’eau potable directement à partir des eaux usées.

Eaux de pluie : de l'évacuation à la récupération

Dans la première époque de construction des réseaux d’assainissement, le choix a été fait de collecter ensemble les eaux pluviales et les eaux usées, pour les sortir au plus vite hors des villes et limiter à la fois les maladies et les inondations. Ce choix originel de l’évacuation sous-tend aujourd’hui encore le schéma d’assainissement le plus classique.

Mais il n’est pas sans inconvénient. À l’étape de l’assainissement, il s’est avéré avec le temps que l’eau pluviale, polluée par le ruissellement qui la charge en pollution lorsqu’elle lessive sols et bâtiments, pouvait en réalité… ne pas l’être assez pour un fonctionnement optimal des stations d’épuration. « Le problème, c’est que pour fonctionner correctement une station d’épuration a besoin de pollution.
Avec les eaux pluviales, les bactéries épuratrices sont moins performantes dans les milieux dilués, et les ouvrages sont soumis à des surcharges hydrauliques, indique Cyril Gachelin, responsable des formations et spécialiste des eaux pluviales à l’OiEau.

On s’est donc rendu compte que les eaux pluviales engendraient un certain nombre de dysfonctionnements pour les stations d’épuration. »  

Aussi, depuis les années 1990, l’approche s’est-elle affinée : de plus en plus, les eaux pluviales et les eaux usées tendent à être collectées par des réseaux distincts, dits « séparatifs ». Désormais, les eaux pluviales sont considérées comme des « eaux claires parasites » pour le réseau d’assainissement dans les systèmes séparatifs, c’est-à-dire des eaux provoquant des risques d’usure ou de surcharge des canalisations, mais aussi des consommations électriques trop élevées, et enfin une baisse du rendement des stations d’épuration. 

Une évolution qui implique de lourdes conséquences opérationnelles et dont l’impact doit à chaque fois être mesuré au regard de la situation locale ‒ les stations d’épuration pouvant, pour certaines, être adaptées en l’absence de séparation.
Il faut noter que la séparation des deux réseaux est complexe à réaliser, elle réclame des travaux de fond sur le réseau qui expliquent pourquoi ce choix est rarement adopté par les autorités.

Dans le même temps, pour lutter contre les inondations, l’infiltration de l’eau dans les sols est apparue comme un complément indispensable à la seule évacuation des eaux de pluie. En France métropolitaine et outre-mer, entre les années 1980 et les années 2020, « entre 200 et 250 kilomètres carrés [ont été] imperméabilisés annuellement, ce qui représente l’équivalent d’un département français tous les vingt-cinq à trente ans », indique le ministère de la Transition écologique. Or, l’imperméabilisation des sols couplée à la survenue plus fréquente des pluies exceptionnelles contribue à aggraver dangereusement le risque d’inondation. Il faut donc favoriser l’infiltration des eaux pluviales directement dans le sol.

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Nouvelles pollutions et limites planétaires : des défis pour l’avenir

Aujourd’hui, les stratégies de traitement de l’eau doivent faire face à plusieurs défis. Et toujours, comme depuis cent soixante-dix ans, à des défis d’ordre sanitaire. Car en même temps que les pollutions se complexifient, qu’elles soient d’origine agricole, industrielle ou médicale même, avec les résidus de médicaments, les capacités de détection des particules elles aussi s’accroissent, ouvrant le champ à de nouvelles possibilités de traitement.

Santé : entre détection et prévention, de nouvelles solutions 

Veolia participe activement à l’effort de détection. Depuis l’adoption d’une directive européenne en 2000, la recherche de substances dangereuses dans les rejets d’eau est obligatoire dans les stations d’épuration de plus de 10 000 équivalents-habitants. Afin d’y répondre, le groupe et son partenaire Watchfrog ont une solution pour repérer la toxicité éventuelle liée à la présence de perturbateurs endocriniens ou de micropolluants dans les effluents des stations d’épuration. Une fois détectés, comment les traiter ? « Pour traiter ces micro-polluants, on utilise principalement les technologies de la potabilisation de l’eau que l’on met en sortie de station d’épuration. Seulement, le traitement de ces micropolluants nécessite beaucoup d’énergie et de moyens », rappelle l’ingénieure Sophie Besnault.

Depuis les années 1990, les usines de potabilisation et certaines stations d’épuration ont recours à l’ultrafiltration membranaire, une véritable révolution dans le domaine, qui ne cesse de s’améliorer : Veolia travaille aujourd’hui sur deux types de filtres au potentiel spectaculaire, des nanotubes de carbone et des membranes imitant les branchies des poissons. Avec le souci de les rendre les plus accessibles et économes en énergie. Globalement, le progrès technique permet aujourd'hui de filtrer des polluants encore indétectables il y a quelques années. À Aarhus, au Danemark, une première expérience a été menée en 2014 par Veolia pour traiter les résidus médicamenteux d’un hôpital et de la station d’épuration municipale. Grâce à la technologie MBBR (Moving Bed Biofilm Reactor), qui utilise des micro-organismes afin de dégrader les matières organiques, 90 % des résidus médicamenteux ont été éliminés. Les tests ont prouvé par ailleurs qu’il fallait privilégier le traitement des eaux municipales, car les gens consomment les médicaments à domicile. C’est pourquoi il est primordial également de traquer ces résidus à la source : la meilleure pollution est celle que l’on ne produit pas.
« Au-delà des nombreuses solutions techniques disponibles pour identifier, mesurer et éliminer les micropolluants présents dans les eaux, il faut aussi songer à faire évoluer les mentalités, explique Géraud Gamby, directeur de marché Eau chez Veolia. En organisant des campagnes de sensibilisation des citoyens et des acteurs économiques, en misant sur le maillage associatif, c'est sur les habitudes et les usages qu'il convient d'agir ».

Environnement : contribuer à respecter les limites planétaires

Les traitements de l’eau enfin, comme toutes les activités humaines, doivent s’adapter au changement climatique. Car celui-ci pose d'importants problèmes de quantité mais aussi de qualité de l’eau. « Lorsque l’on connaît des épisodes de sécheresse, la qualité de l’eau se dégrade avec un développement d’algues, une concentration de la matière. L’eau devient alors plus difficile à traiter. Un renforcement des étapes de traitement est nécessaire. », souligne Hervé Paillard, directeur du département Procédés et Industrialisation chez Veolia.

Mais au-delà, ils doivent aussi participer à la mobilisation collective pour respecter les limites planétaires, qu’il s’agisse du changement climatique, du cycle de l’eau douce, du cycle de l’azote et du phosphore ou de la biodiversité.

Les efforts de recherche entrepris pour rendre les traitements de l’eau moins consommateurs – voire producteurs – d’énergie, moins consommateurs d’eau elle-même, ou mieux capables de traiter les pollutions affectant les milieux, y contribuent. « Les nouvelles générations de membranes sont plus efficaces. Souvent développées pour répondre aux demandes des industriels, très exigeants sur la performance et soucieux de réduire leurs prélèvements sur le milieu, ces technologies se déploient aussi pour des usages municipaux », partage Anne Le Guennec, directrice générale de Veolia Water Technologies.

Mais ce n’est pas qu’une affaire de technologies. C’est aussi une affaire de femmes et d’hommes, qui doivent au cœur des opérations faire le meilleur usage des traitements disponibles, en tenant compte des circonstances locales et de l’ensemble des objectifs. Ainsi en va-t-il pour le traitement de l’azote : « Nous avons toujours à cœur de remplir au mieux notre mission, raconte Pierre Ribaute, directeur général de l’activité Eau France de Veolia. La réduction de l’azote dans l’eau en-deçà des seuils réglementaires nous anime particulièrement, pour protéger les milieux. Et les technologies disponibles nous le permettent. Mais nous devons nous garder de les mobiliser jusqu’à faire de la surqualité. Car le traitement de l’azote produit du protoxyde d’azote, un gaz à effet de serre bien plus puissant que le CO2. Le lean management, qui responsabilise les équipes de terrain, doit nous aider à parvenir à maîtriser les équilibres. » Pour veiller à la santé humaine et à la préservation de la planète. 

Face au Covid : des innovations pour détecter et prévoir l’épidémie

Le confinement auquel l’ensemble de la planète a fait face en 2020 a été l’occasion de mesurer toute l’importance que représentent les services essentiels opérés par Veolia. L’alimentation en eau potable, la salubrité des villes, la fourniture d’énergie ont alors été perçues à leur juste valeur. Sans la mobilisation des équipes de Veolia, sur le terrain comme depuis leur domicile, c’est autant de crises qui se seraient ajoutées à la crise sanitaire.

Dans le même temps, les équipes de recherche de Veolia se sont investies dans la mise au point d’analyses permettant de lire dans les eaux usées la présence et le devenir de l’épidémie. Indicateur d'alerte précoce de la circulation probable du virus dans la population, son dispositif de surveillance Vigie-Covid-19 a en effet permis, et détectant le virus et en suivant son évolution, d’accompagner la prise de décision des acteurs locaux.
Ce dispositif replaçait les résultats de l’analyse dans leur contexte (pluviométrie et nombre d’équivalents-habitants) et les comparait avec des données épidémiologiques publiques.

L’évolution des résultats dans le temps permettait de contribuer à l’identification d'un possible rebond de l’épidémie. Vigie-Covid-19 a pu constituer, pour Philippe Sébérac, directeur de l’expertise technologique et scientifique de Veolia, « un excellent complément aux essais cliniques dans le dispositif de la lutte contre la propagation de l'épidémie en fournissant des informations lisibles et des dynamiques cohérentes avec les taux d’incidence rapportées par les autorités sanitaires en Europe ».

Surveiller les eaux usées pour anticiper des épidémies d’origine virale constitue aujourd’hui une méthode prometteuse. Dès 2003, l’OMS a recommandé cette approche pour la prévention de la poliomyélite (poliovirus). La communauté scientifique internationale s’accorde aujourd'hui sur le fait que les eaux usées « reflètent en partie l’état de santé de la population ».

Pour revivre cette année 2020 aux côtés des équipes Veolia, retrouvez ici le film documentaire « En premières lignes », réalisé lors du confinement, partout à travers le monde :

 

Au Chili, la révolution continue de l’eau saine

Au Chili, les risques de pollution de l’eau sont aigus. Les activités minières, les rejets industriels et le traitement inadéquat des eaux usées ont longtemps pollué les rivières et les nappes phréatiques, les rendant impropres à la consommation humaine et endommageant des écosystèmes fragiles. Les pratiques agricoles, telles que l'utilisation de pesticides et d'engrais, contribuent également à la pollution de l'eau, ce qui présente des risques pour la santé des humains et de la faune.

Pour répondre à ces enjeux, Aguas Andinas, filiale de Veolia au Chili, a engagé la construction d’un service complet de l’eau, notamment autour de Santiago du Chili, allant de l’approvisionnement en eau potable au traitement des eaux usées, et mettant fin à des épidémies de maladies hydriques qui, récemment encore, restaient fréquentes.

Aguas Andinas a en particulier contribué à l'assainissement du fleuve Mapocho. Jusqu'en 1999, seulement 3 % des eaux usées de Santiago étaient traitées, tandis que le reste était déversé dans le fleuve, entraînant des conséquences funestes pour l'écosystème et la santé publique. Grâce à des travaux tels que le projet Mapocho Urbano Limpio, qui a supprimé les rejets d'eaux usées dans les principaux cours d'eau de la région, la situation a radicalement changé en à peine plus d'une décennie.

Les bénéfices en ont été très directs, au premier titre, la baisse rapide des épidémies : une étude de l'Université du Chili a révélé que la mortalité due aux maladies diarrhéiques chez les enfants d'âge préscolaire est passée de 3,8 pour 100 000 habitants en 1990 à 0,6 en 2003, démontrant l'impact positif de l'assainissement sur la santé publique.

L’assainissement a également permis l'amélioration de l'état de la rivière et de son écosystème. Sans compter que l’eau assainie peut désormais être réutilisée pour l'irrigation agricole, les parcs, les centres sportifs, et même pour la recharge des aquifères, ce qui renforce les ressources en eau disponibles pour la région. 

Aguas Andinas a ainsi contribué à mettre fin à des décennies de rationnement. C’est un bénéfice notable à l’heure du dérèglement climatique, qui renouvelle le défi de l’approvisionnement en eau de la capitale chilienne, longtemps incertain et à nouveau mis à l’épreuve. 

Il faut dire que les pénuries d’eau sont un problème de premier plan dans tout le pays. La ressource se fait particulièrement rare dans les régions où règnent des climats arides et semi-arides. Les précipitations y sont limitées et irrégulières, et entraînent, conjuguées à sa forte utilisation pour l’activité économique, une insuffisance de la ressource en eau. Santiago du Chili, dont 70 % de l’approvisionnement en eau dépend du fleuve Maipo dans lequel se jette le Mapocho, n’y fait pas exception.

Aguas Andinas a investi pour diversifier ces sources d’approvisionnement, puiser l’eau dans de nouveaux puits, et pour stocker l’eau potable. De la sorte, les quartiers qui dépendent du Maipo ont vu leur capacité d’autonomie passer de quatre heures en 2011 à vingt-quatre heures dix ans après.

Ces progrès ont permis d’éviter en 2021 les rationnements en eau, tandis que des pluies diluviennes exceptionnelles, en amont du fleuve Maipo, ont entraîné des glissements de terrain qui ont chargé l’eau d’une telle turbidité que sa potabilisation a été mise à mal. Sept millions de personnes, qui ont échappé à la pénurie, ont alors mesuré l’impact du groupe sur leur quotidien.

L’objectif est aujourd’hui de passer à quarante-huit heures, et de poursuivre l’ensemble des actions menées pour réduire la vulnérabilité de Santiago du Chili.

Après plus de dix années de sécheresse, les autorités chiliennes ont planifié en 2022 des mesures d’adaptation et de sobriété, auxquelles Aguas Andinas contribue, pour éviter le retour des rationnements stricts. 

  1. Angus Deaton, La grande évasion, Santé, richesse et origine des inégalités, 2016 ↩︎
  2. Jean Giono, Le Hussard sur le toit, 1951 ↩︎
  3. Alain Corbin, Le miasme et la jonquille, 1982, p.329 ↩︎
  4. Patrick Gmeline, Compagnie générale des eaux, 1853-1959, De Napoléon III à la Vème République, p.115 ↩︎
  5. Angus Deaton, La grande évasion, Santé, richesse et origine des inégalités, 2016, p.119 ↩︎
  6. Alain Corbin, Le miasme et la jonquille, 1982, p.329 ↩︎
  7. Angus Deaton, La grande évasion, Santé, richesse et origine des inégalités, 2016, p.119 ↩︎
  8. Patrick Gmeline, Compagnie générale des eaux, 1853-1959, De Napoléon III à la Vème République ↩︎
  9. Patrick Gmeline, Compagnie générale des eaux, 1853-1959, De Napoléon III à la Vème République, p.132 ↩︎
  10. Patrick Gmeline, Compagnie générale des eaux, 1853-1959, De Napoléon III à la Vème République, p.147-148 ↩︎
  11. Ibid, p.147-148 ↩︎
  12. Ibid, p.168 ↩︎

RÉCIT 2

Le 20 sept. 2023

Organiser la gestion du réseau : la création du modèle français

Pour comprendre les spécificités de l’organisation française, il faut partir d’un jeu à deux entre l’État et les villes. Il est devenu un jeu à trois entre l’État, les collectivités et les entreprises privées pour répondre aux besoins des usagers.

L’Ancien Régime lègue en effet deux types d’eau. D’un côté, les eaux royales : des lignes droites auxquelles se branchent les privilégiés de l’eau. De l’autre, la police des eaux : assurée par les villes, elle privilégie les points sensibles de l’espace public – casernes, hôpitaux, écoles, fontaines publiques. De ce fait, la fourniture d’eau aux habitations était délaissée en France et a été prise en charge par des compagnies privées mais sans pouvoir reprendre le modèle anglais des pompes puisant de l’eau grâce à un charbon abondant et peu cher au Royaume-Uni.

Ce jeu à trois – État, collectivités, entreprises privées – s’est avéré un modèle très souple permettant aux termes du contrat de changer dans le temps pour s’adapter aux nouveaux enjeux et de répartir les efforts. Le tout en minimisant les risques de sous-investissement de long terme ou de faillite, qui caractérisent les jeux à un seul acteur, comme aux États-Unis.

Grégory Quenet

Entre l’État et les villes, la naissance d’un modèle

Les Français ne le réalisent pas forcément mais le modèle qui régit depuis plus de cent ans leur service de distribution d’eau et d’assainissement a inspiré le monde entier. À tel point que les grandes entreprises privées du secteur sont reconnues à l’international : en Asie, en Afrique, au Moyen-Orient, en Amérique du Nord et du Sud, on fait appel aux groupes français pour gérer des services autour de l’eau. Dès le début du XXe siècle, la Compagnie Générale des Eaux (CGE, future Veolia), la Lyonnaise des Eaux (devenue Suez) puis la SAUR (Société d'Aménagement Urbain et Rural) se sont livré une bataille économique acharnée. Chacune de ces entreprises a sa culture spécifique mais toutes trois ont œuvré à l’édification de ce qu’on appelle le modèle français de l’eau. Un modèle fondé sur la délégation de service public de type partenariat public privé (PPP) et sur le principe « l’eau paie l’eau », qui fait reposer en grande partie sur les abonnés le financement des infrastructures plutôt que sur le contribuable.

En développant un savoir-faire dans le traitement de l’eau, elles ont également permis d’aller chercher la ressource au plus près des usagers, dans les eaux de surface ou souterraines. L’objectif ? Éviter de tirer des tuyaux loin des habitations pour aller chercher de meilleures eaux, occasionnant ainsi des risques de pertes élevées comme cela a d’abord été le cas en Californie ou en Espagne. Grâce à cette stratégie, l’eau est restée, en France, un service éminemment local et non pas géré par un pouvoir central. Le secteur s’est progressivement imposé comme une activité industrielle, exigeante en investissements. En intégrant peu à peu toute la filière en leur sein, depuis la fabrication des tuyaux jusqu’à la construction des stations d’épuration, la Compagnie comme la Lyonnaise sont vite devenues incontournables dans le paysage des services publics. Pourtant, ces entreprises privées auraient pu disparaître maintes fois « à leurs risques et périls » comme l’énoncent les contrats de concession. Les travaux du directeur de recherche au CNRS Dominique Lorrain sur ces compagnies démontrent à quel point le « modèle français de l’eau » n’a pas été conceptualisé par les différents acteurs en amont. Il est en réalité le fruit de multiples stratégies d’adaptation des uns et des autres aux situations et aux difficultés rencontrées.

Des débuts compliqués

Loin d’être un long fleuve tranquille, l’histoire du modèle français de l’eau a plutôt des allures de mer agitée. La Compagnie Générale des Eaux, quand elle voit le jour en 1853, vingt-sept ans avant la Lyonnaise des Eaux, doit presque tout inventer en matière de distribution d’eau telle que nous l’entendons aujourd’hui. Et ce, même si localement de modestes services de distribution de l’eau étaient à l’étude (Nantes avec le projet de l’ingénieur Jégou, repris par la CGE en 1853) ou déjà présents (à Nice, alors dans le royaume de Piémont, avec la Société Générale des Eaux de Nice, rachetée par la CGE en 1864). Dès cette époque, les rapports entre les communes et l’opérateur privé peuvent être rugueux puisque c’est la commune qui est responsable de la distribution d’eau potable en droit depuis la Révolution française, une prérogative confirmée par la loi municipale de 1884 pour des raisons d’ordre public et de salubrité : c’est elle qui décide du recours au contrat. L’opérateur privé fait face dès les années 1880 à la possibilité de passages en régie, c’est-à-dire d’une gestion de l’eau directement assurée par la commune. Ce débat entre régie et délégation de service public va nourrir l’histoire de l’eau potable en France jusqu’à nos jours.

Dès la fin des années 1870, des litiges opposent la Compagnie Générale des Eaux à certaines municipalités. C’est le cas à Nantes, notamment, où les deux co-contractants peinent à trouver un accord pour déterminer qui doit financer le remplacement d’une ancienne canalisation Chameroy de mauvaise qualité, source de fuites abondantes. La qualité de l’eau, aussi, est remise en cause par la commune, qui fait part de son souhait de racheter la concession dès 1895. Finalement, Nantes rachète son service d’eau et passe en régie en 1900, alors que le contrat devait courir jusqu’en 1914. Elle est bientôt suivie par d’autres : Lyon (rachat en 1900 d’un contrat dont le terme était 1952), Rouen (1912 au lieu de 1941) et Toulon (1912 au lieu de 1944). Au début du XXe siècle, la distribution d’eau devient une affaire plus facilement rentable, surtout pour les grandes villes dont le réseau est déjà en partie construit et qui ont les moyens d’étendre le service d’eau potable à de nouveaux quartiers.

Elle s’impose également comme une question d’hygiène publique au cœur des attentes des habitants : les collectivités souhaitent gérer le sujet elles-mêmes, quand bien même les rachats anticipés des concessions représentent un intérêt économique incertain au regard des indemnités très élevées qui leur sont assorties.

Ancienne photo de l’usine de Saint-Clair (Lyon), vers 1910
© Association La Pompe de Cornouailles

Distribution de l'eau : les modèles anglais et allemand

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, l’Angleterre et l’Allemagne sont en avance sur la France concernant la distribution d’eau à domicile. Les villes des deux pays ont été industrialisées plus vite, plus tôt, et ont rapidement fait face à d’énormes problèmes de salubrité qu’il a fallu résoudre par la distribution et le traitement de l’eau. Le contexte historique national dans lequel ces services émergent ne permet néanmoins pas la constitution d’entreprises de référence.

En Angleterre, les besoins en eau sont si grands qu’il faut aller la chercher loin ou la traiter sur place, ce qui engendre des investissements très lourds. Le coût réel de l’eau augmente de 50 % au cours du XIXe siècle, et la facturation n’est pas suffisamment efficace pour que les entreprises privées s’engagent sur ce marché. Ce sont, par conséquent, les municipalités qui vont opérer les services d’eau, avec l’avantage de facturer la ressource via une taxation indexée sur la valeur de la propriété. Elles peuvent ainsi bénéficier de revenus stables quelle que soit la consommation d’eau réelle. L’argument hygiénique joue également à plein en Angleterre de façon plus précoce qu’en France puisque le Public Health Act de 1848 confie aux autorités locales « la responsabilité de l’approvisionnement en eau et leur donne le pouvoir de faire prévaloir leur volonté sur celle des sociétés locales d’eau ». En 1914, les régies municipales anglaises connaissent leur apogée, qui sera suivie d’une forte régionalisation des services, répartis en dix districts hydrographiques, puis de la nationalisation du service d’eau en 1973 et de sa privatisation totale en 1989 sous le gouvernement de Margaret Thatcher – au regard, comme pour les déchets, d’un déficit de qualité de service perceptible pour les usagers.

En Allemagne, les villes ont toujours eu davantage de pouvoir qu’en France et ont une longue tradition d’autonomie. Au XIXe siècle, l’État prussien leur a réservé la possibilité de créer des entreprises municipales : les Stadtwerke. Si bien qu’au début du XXe siècle, 38 des 41 villes allemandes de plus de 100000 habitants géraient elles-mêmes leur eau. Au fil du temps, ces entreprises ont d’ailleurs concentré plusieurs services publics en leur sein (transport, énergie, etc.), monopolisant de fait les affaires concernant le bien-être des habitants, ou ce que l’on appellerait en France, en partie du moins, « l’État-providence ». Pour la population, les municipalités pouvaient même être considérées comme un gage de protection face aux tentations despotiques de l’État central. Un pari gagnant puisque ces Stadtwerke ont survécu aux guerres et au IIIe Reich et subsistent encore aujourd’hui notamment via les Länder. Ce système n’a cependant pas permis l’émergence d’un champion industriel à même de porter l’innovation du secteur jusqu’à pouvoir en assurer un leadership mondial – alors que dans d’autres secteurs, l’Allemagne en a pourtant de nombreux.

© Association La Pompe de Cornouailles

De jurisprudence en jurisprudence, un modèle de plus en plus précis et robuste

Avant la Première Guerre mondiale, deux villes de plus de 5 000 habitants sur trois sont donc gérées en régie pour la distribution d’eau, délaissant le régime de concession qui prévalait précédemment, dans lequel la collectivité délègue la gestion de son service d’eau. Alors qu’elle accompagnait jusqu’ici le développement des grandes villes de France, qu’elles soient industrielles (Lyon, Lille, Lens) ou touristiques (Nice, Antibes, Menton), sans oublier Paris, la Compagnie Générale des Eaux (CGE) est désormais menacée. Et ce, dans un grand nombre de ses bastions, où elle a pourtant permis de créer les infrastructures du service de l’eau.

Mais la Compagnie a fait face en défendant ses droits de façon méticuleuse quand il le fallait. « Elle est un acteur structurant, nous explique Christelle Pezon, lors des litiges avec les municipalités, elle interpelle le Conseil d’État, de façon à créer une jurisprudence. La Compagnie a contribué à fabriquer le droit autour de ce type de contrat qui a ensuite contraint tous les acteurs. » Entre 1880 et 1920, la CGE est impliquée dans un tiers des décisions du Conseil d’État. À côté du modèle de concession, qui se précise mais qui peine à faire se retrouver les intérêts des collectivités et de l’entreprise, se dessinent les contrats d’affermage, que l’on appellerait « délégation de service public » aujourd’hui. Dans ces contrats, le délégataire privé devient exploitant des ouvrages qui appartiennent à la collectivité locale : le financement de nouveaux investissements est pris en charge par la collectivité, tandis que la maintenance et la gestion de l’existant sont dévolues au délégataire. En résumé, le modèle contractuel français dans les services d’eau et d’assainissement s’est construit au fil des litiges et des avenants entre les villes et la Compagnie.

À l’origine, détaille Nathalie Dufresne, qui a été juriste chez Veolia, « les premiers contrats de concession tenaient en 15 pages maximum alors qu’on s’engageait sur des durées longues, quarante, cinquante, soixante ans. En gros, il fallait financer des investissements et se mettre d’accord sur qui paie quoi. Le prix de l'eau était fixé et on prévoyait des rendez-vous périodiques pour adapter le contrat, et c’était tout ! Aujourd’hui, on a parfois 200 pages de contrat et un millier de pages d’annexes ». Le droit qui s’écrit repose sur les trois principes du service public consacrés par les tribunaux dès la fin du XIXe siècle : la continuité (l’accès permanent au service), l’égalité (l’absence de distinction entre les usagers) et la mutabilité (où l’on considère qu’un contrat peut évoluer en fonction des circonstances). Et il faudra sur cette base des dizaines d’années pour parvenir à élaborer un cadre juridique solide qui sera imité ensuite dans tous les pays d’Europe qui souhaiteront s’appuyer sur des partenariats public-privé. Développé de façon expérimentale entre les deux guerres, l’affermage devient le contrat modèle après 1945, appuyé par un cahier des charges type édicté en 1951 par le Conseil supérieur des SPIC (services publics industriels et commerciaux).

Ces batailles juridiques de longue haleine ont permis à la Compagnie Générale des Eaux de survivre à la volonté d’affirmation des communes et surtout à l’apparition après la Première Guerre mondiale d’un phénomène inédit, l’inflation – les prix des factures n’étaient pas indexés à l’époque. Elles ont aussi, en façonnant le contrat d’affermage, conduit à constituer un modèle d’entreprise résistant, qui n’a pas la charge directe d’investissements parfois considérables – un modèle capex light, dirait-on aujourd’hui.

Les principaux types de contrat à travers l'histoire

Qu’est-ce que la délégation de service public ?

La délégation de service public consiste pour une collectivité (commune, département, région) à externaliser la gestion d’un service public, par exemple celui de l’eau potable ou de la collecte des déchets, en le confiant à une entreprise privée. Le choix de l’externalisation peut résulter de la technicité de l’activité, du manque de moyens matériels et humains à la disposition de la collectivité pour l’assurer ou de la volonté de prémunir cette dernière du risque d’exploitation que cette activité représente pour son équilibre budgétaire. La collectivité publique conserve, néanmoins, le pouvoir décisionnaire et la maîtrise du service, dans la mesure où l’opérateur privé est tenu de rendre compte de sa gestion sur les plans technique et financier. On distingue trois types de gestion en matière de délégation de service public, qui se définissent notamment par le degré d’autonomie laissé au concessionnaire exploitant le service. Dans l’ordre, du plus important degré d’autonomie au plus restreint : la concession, l’affermage et la régie intéressée.

Contrat de concession
Dans ce type de contrat, le délégataire doit non seulement gérer le service mais également réaliser les investissements pour les travaux nécessaires à sa gestion et à son entretien. Le délégataire finance, réalise et exploite le service public à ses risques et périls. L’activité est donc entièrement externalisée. En contrepartie, l’entreprise se rémunère sur les recettes d’exploitation du service. Les premiers contrats de la CGE sont des contrats de concession.

Contrat d’affermage
C’est un accord entre une collectivité, appelée « concédant », et une entité privée, appelée « fermier ». Dans ce contrat, les équipements nécessaires à l’exploitation du service concédé sont fournis par le concédant au fermier. Ce dernier est ainsi seulement chargé de l’exploitation du service, même si le contrat peut prévoir que certains travaux de maintenance ou de rénovation soient à sa charge. En retour, il est autorisé à collecter les revenus d’exploitation du service, mais il est tenu de verser une contribution à la personne publique en contrepartie de la fourniture de l’ouvrage. La durée des conventions d’affermage est en général plus courte que celle des « concessions » au sens jurisprudentiel, car il n’y a pas besoin d’amortir le coût de travaux importants. L’affermage s’affirme juridiquement en France entre les années 1920 et les années 1950 et y représente aujourd’hui le type de contrat le plus répandu dans les métiers de l’eau.

Régie intéressée
C’est un mode de délégation mixte d’un service par lequel le cocontractant est chargé de faire fonctionner ce service, mais il est rémunéré par la collectivité, qui demeure responsable de la direction du service. Cela permet à la collectivité de conserver le contrôle tout en déléguant la gestion opérationnelle. Ainsi, la rémunération du cocontractant est composée d’une partie fixe versée par la collectivité (une « redevance » ) et un intéressement indexé sur les résultats d’exploitation. En fonction du niveau de risque assumé par le concessionnaire, la régie intéressée pourra être qualifiée de « marché public » ou de « concession de service ». Le contrat conclu à Paris en 1860 avec le baron Haussmann est une régie intéressée. 

L’entreprise, tiers de confiance de l’État jacobin

L’État, lui, va garder une posture d’équilibre entre les deux parties que constituent les communes et les entreprises, pour affirmer son propre rôle. Il va même « par différents moyens, chercher à cantonner et à minorer l’action des communes dans le secteur de la distribution d’eau », écrit Christelle Pezon, maîtresse de conférences en sciences de gestion. « Ce n’est pas la commune en tant que collectivité publique qui est attaquée – l’interventionnisme public est non seulement admis mais prôné. C’est la collectivité locale, dont la rationalité est contestée, qui doit s’effacer devant un État rationalisateur et modernisateur : les communes ne sont pas du côté du progrès »1. C’est dans le même esprit que l’État leur conteste la capacité à assurer certaines compétences et les leur retire, de l’assistance sociale en 1934 à l'entretien des routes nationales en 1936.

En matière d’eau, « l’État prône une gestion rationnelle de l’activité, organisée [...] autour de trois idées maîtresses : astreindre la gestion des services d’eau à l’équilibre budgétaire [...], dépasser la maille communale pour rationaliser les choix techniques, gérer globalement la ressource ». Entre 1935 et 1939, il prend une série de décrets-lois pour renforcer sa maîtrise des services publics locaux concédés et faire vivre cette doctrine.

Il impose, dès 1935, des obligations de résultat en matière de qualité des eaux distribuées. Alors qu’il doit défendre le franc et qu’il renforce sa tutelle financière sur les communes, il s'octroie, en 1937, des moyens de contrôle direct, en sus de celui des communes. Il oblige les sociétés publiques d’intérêt commercial « à équilibrer leurs recettes et leurs dépenses, c’est-à-dire à assurer le recouvrement de leurs coûts grâce aux seules ressources procurées par la vente d’eau à domicile ». Les tarifs d’eau « sont soumis à l’approbation préfectorale » et il est aussi permis « aux communes et, surtout, à leurs concessionnaires de demander au ministre de l’Intérieur de résilier leur convention ou d’en réviser les clauses si les comptes des services d’eau délégués sont en permanence déséquilibrés ».

Si ces dispositions sont aussi des contraintes pour les délégataires, il n’en reste pas moins que l’État jacobin fait de l’entreprise spécialisée dans la gestion de l’eau un tiers de confiance dans sa relation avec les communes : il s’appuie sur ses expertises et sur son périmètre délimité pour assurer la qualité du service et la maîtrise budgétaire. « La délégation à des opérateurs privés dans un cadre normalisé offre à l’État un moyen de discipliner les communes sans les affronter directement 2».

Par ces décisions, l’État central affirme sa primauté sur l’aménagement du territoire. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, cela obéit, au cœur des années 1930, à la même logique que la nationalisation des chemins de fer et à la création de la SNCF. Les deux approches respectent chacune la spécificité des réseaux dont elles organisent le modèle : l’enjeu du chemin de fer est de créer un réseau national, d’où la pertinence pour l’État d’une nationalisation ; l’enjeu des réseaux d’eau se dessine au niveau local, sans communication entre les bassins versants, d’où la nécessité pour l’État de compter sur les communes et de les encadrer pour parvenir à ses fins. Si les deux approches obéissent a priori à des écoles de pensée économiques différentes, marxiste ou libérale, aucun des deux ne sera remis en cause, au-delà de toutes les alternances politiques. 

Une relation de confiance pour accomplir le miracle de l’eau

Alors que les collectivités locales sont soucieuses d’être détentrices du patrimoine collectif que représentent les infrastructures d’eau, grâce à l’affermage, la Compagnie Générale des Eaux réussit à se renouveler durant l'entre-deux-guerres : si ses bénéfices se réduisent, elle parvient, en parallèle, à limiter ses investissements. Les contrats se font alors de gré à gré, autrement dit intuitu personae, une locution latine signifiant « qui repose sur la personne ». C’est à partir de cette relation de confiance que les protagonistes peuvent créer les fondements permettant la poursuite du contrat.

Dans ces cas-là, il y a forcément une « prime au sortant », à l’opérateur qui est déjà dans le jeu et qui peut faire valoir cette relation passée. L’État veille toujours au grain, en transférant « au Conseil d’État le soin d’approuver les contrats de concession d’une durée supérieure à trente ans » et en laissant « aux préfets l’approbation des contrats de durée moindre, pour inciter les communes à la signature de contrats plus brefs ». La Générale des Eaux est particulièrement réputée pour ses compétences opérationnelles et contractuelles, sa gestion parcimonieuse et sa connaissance des problématiques des élus locaux.

Une fois le système de l’affermage mis en place et les rôles clarifiés, les conflits vont alors diminuer entre les différents acteurs : l’opérateur privé joue le rôle d’intermédiaire entre la commune et les abonnés en assumant notamment la pose des compteurs au pied des immeubles et le recouvrement des factures, tandis que la collectivité locale peut décider des travaux à réaliser et piloter leur financement. Au milieu, l’État finance la moitié du développement des services d’eau ruraux à cette époque (l’autre moitié provenant des factures d’eau) et il sait qu’il peut compter sur de grandes entreprises privées pour opérer, sur le terrain, la gestion industrielle du réseau. Elles sont en quelque sorte son bras armé pour sa vision planificatrice de l’aménagement du territoire. C’est pour cette raison que l’État va promouvoir le contrat d’affermage quand il subventionne les communes où le service d’eau nécessite des investissements d’infrastructures. Résultat : d’après les analyses de Christelle Pezon, « la population desservie par des opérateurs privés a doublé entre 1962 et 1982, passant de 16,95 millions d’habitants à plus de 33,5 millions. »

À l’arrivée, ce compromis historique entre trois acteurs soucieux de conserver leurs prérogatives a permis à la France de parvenir à une organisation efficace de ses services de l’eau. Durant cette période, les contrats sont toujours longs, et ce modèle mixte donne d’ailleurs l’impression à beaucoup de consommateurs que les salariés des grands groupes privés sont presque… des fonctionnaires !

© Veolia

Pour aménager l’ensemble du territoire, une coopération qui s’intensifie

Pour équiper les banlieues et les campagnes : une montée en puissance de la concertation et des subventions

Alors qu’elle n’opère plus dans la plupart des grandes villes au début du XXe siècle, la Compagnie Générale des Eaux choisit d’investir leurs périphéries. Elle participe ainsi à l’incroyable essor des banlieues parisiennes et lyonnaises, qui ne cessent d’accueillir de nouveaux habitants dans des communes souvent ancrées très à gauche. Ces communes ont de nombreux défis à gérer, et vont s’allier sous la forme d’un syndicat. L’objectif : confier leur service d’eau à une entreprise privée sous les auspices bienveillants de l’État, soucieux d’assurer avec la plus grande sécurité le service d’eau essentiel à l’hygiène publique. C’est encore un autre type de contrat qui va être mis en œuvre : la “régie intéressée” que la CGE contracte d’abord avec le Syndicat des eaux d’Île-de-France (SEDIF) puis, plus tard, avec le Syndicat des eaux de la banlieue de Lyon (SIEBL). Dans ce type de contrat, ce sont de petites communes qui investissent mais qui, en se regroupant, peuvent mutualiser les coûts, définir le programme de travaux et assurer un service au meilleur prix.

L’ingénieur et chercheur Bernard Barraqué souligne, à ce sujet, la capacité d’une entreprise comme la CGE à pouvoir négocier avec autant d’interlocuteurs différents. Car la spécificité française, c’est aussi ce maillage de 36 000 communes et autant de maires élus au suffrage universel avec lesquels il faut traiter. Ce qui nécessite un vrai savoir-faire, et ce n’est pas un hasard si des entreprises comme la CGE, la Lyonnaise et la Saur se diversifient rapidement vers le transport et la propreté des villes, qui constituent les autres services essentiels régissant les territoires. À l’époque, la « ceinture rouge » autour de Paris se couvre de modestes pavillons construits pour loger les employés et les ouvriers qui viennent s’installer en masse. Les maires communistes, mais aussi les prêtres bâtisseurs poussés par la doctrine sociale de l'Église, mettent la pression au gouvernement pour qu’il équipe les banlieues en routes, en gaz, en électricité, en assainissement et en eau. Avec les élections municipales de 1935, qui voient 26 communes passer sous l’étendard commun de la Section française de l’Internationale ouvrière et du Parti communiste français, l’État se convainc de verser des subventions pour contribuer au développement des communes du SEDIF.

L'usine de production d'eau potable de Neuilly sur Marne, vue du ciel (2008).
© Archives du SEDIF

Après 1945, on retrouve cette même alliance entre un État planificateur et des collectivités locales, dont les besoins explosent, en zone urbaine mais aussi à la campagne : il n’est désormais plus imaginable que tout le monde n’ait pas accès au confort moderne de l’eau du robinet, jusque dans les villages de France les plus isolés, même si c’était à l’évidence « une folie en termes financiers dans certaines zones rurales », note Christelle Pezon. Pour que de tels investissements soient soutenables, il a fallu mutualiser la réalisation des infrastructures. « Des ingénieurs du génie rural ont réalisé à l’époque des plans d’aménagement en eau qui concernaient 300 communes d’un coup, par exemple », explique encore Christelle Pezon.

Mais rien n’aurait été possible sans l’implication du ministère de l’Agriculture et de la Pêche, qui va majoritairement financer la création des réseaux d’eau via le FNDAE (Fonds national pour le développement des adductions d'eau potable) créé en 1954. Pour quasiment la moitié, la source de ces fonds provient d’un prélèvement sur les paris hippiques, ce qu’on appellera « la part PMU » et qui ne disparaîtra qu’en 2003. Rien n’aurait été possible non plus sans la CGE, qui mobilise son expertise à travers tout le territoire.

La Compagnie Générale des Eaux gèrera ensuite, sur le mode de l’affermage, la distribution de l’eau potable dans des milliers de communes, parfois regroupées en communautés, à l’image de ce qu’avaient lancé les grandes banlieues avant elles. Aujourd’hui, Veolia reste l’un des rares services réellement présents dans certains hameaux, petites mairies ou collectivités en milieu rural, via une permanence ou un bus qui se déplace lors des périodes de facturation. C’est aussi pour une question de santé publique que le FNDAE (Fonds National pour le Développement des Adductions d'Eau potable) avait été mis en place après la guerre : avec l’activité agricole et industrielle et l’émergence des nouveaux usages (produits d’entretien chimiques, toilettes modernes, produits hygiéniques…), les eaux usées ont commencé à rejeter de plus en plus de polluants dans les cours d’eau et les nappes phréatiques. Il n’était, dès lors, plus possible de boire de l’eau non traitée comme autrefois dans les communes rurales.

Pour protéger la ressource, l’État organisateur, le principe «pollueur-payeur » et la CGE au ban des grandes entreprises

Les problèmes de pollution sont si importants que le gouvernement Pompidou promulgue la première grande loi sur l’eau en 1964, fruit du long travail lancé par la Commission de l’eau créée par le Premier ministre Michel Debré en 1959. C’est d’abord une révolution administrative : dans ce pays alors très centralisé, où l’État est fortement présent et maille le territoire avec son réseau de préfectures et de sous-préfectures, la loi pose « les bases de la gestion décentralisée », comme le souligne Hervé Paillard, directeur Département Procédés et Industrialisation chez Veolia. Six grands bassins hydrographiques sont constitués afin d’organiser à leur maille une « gestion globale de l’eau ».

Les agences de l’eau sont créées pour piloter ces six bassins, elles verront le jour de façon opérationnelle en 1972 et pourront s’appuyer à partir de 1992 sur un outil de planification à six ans, les SDAGE - schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux. Dès 1990, le Premier ministre Michel Rocard avait voulu remettre le sujet de la politique de l’eau à l’agenda, ayant « toujours marqué un vif intérêt pour les politiques publiques de gestion de l’eau, suite à une mission d’inspection des agences de l’eau qu’il avait coordonnée lorsqu’il travaillait à l’Inspection des finances »3.

C’est aussi, pour revenir à la loi de 1964, une révolution sur le plan de la responsabilité économique, avec la première application du principe « pollueur-payeur ». Le modèle défini est doublement incitatif, puisque des taxes sont prélevées sur les activités polluantes d’un côté, et que des subventions sont versées pour les travaux d’assainissement de l’autre. La loi de 1964 met de plus en place une police de l’eau qui intervient sur quatre types missions : les travaux sur les cours d’eau, les prélèvements d’eau, l’assainissement et l’eau potable. Pour le président de Veolia Antoine Frérot, « la loi de 1964 a créé un cadre institutionnel qui imposait l’assainissement de l’eau et des financements pour le faire.

Les entreprises du secteur ont compris qu’il y avait de quoi se diversifier au-delà de l’eau potable. Cela a créé la deuxième partie du métier de l’eau, celle des stations d’épuration et de l’assainissement ». Avec cette impulsion, la France se dote en quelques années de milliers de stations d’épuration, en zones urbaines comme en zones rurales. 
La Compagnie Générale des Eaux paiera son soutien actif à l’adoption de cette loi au prix d’une mise au ban par le patronat français. Elle sera exclue du CNPF, le Conseil national du patronat français ancêtre du Medef (Mouvement des entreprises de France) jusqu’en… 2005. « Et encore sous le seul statut d’observateur, qui durera cinq ans de plus ! », souligne Antoine Frérot. Un témoignage de la vision singulière et du statut à part de Veolia dans le paysage des entreprises françaises, à la fois intégrée à l’économie de marché et promotrice de nouvelles réglementations.

Ivan Chéret

La trajectoire d’Ivan Chéret pourrait ressembler à celle de beaucoup d’autres ingénieurs sortis comme lui des grandes écoles de la République. Pourtant, son histoire contient plus d’un épisode singulier. Figure majeure de la loi sur l’eau de 1964, cet ancien élève de l’X et des Ponts et Chaussées est né en 1924 d’un père russe naturalisé français, qui lui lèguera cette façon si caractéristique au-delà de l’Oural de rouler les R. Il ne la perdra d’ailleurs jamais, signe indélébile d’une origine qui aurait pu lui valoir un statut marginal à Polytechnique, si la Libération n’avait pas mis un terme aux lois xénophobes et antisémites du régime de Vichy. Promu en 1944 aux Ponts, il n’y entre réellement avec ses camarades qu’en 1945. À cette date, il montre déjà un certain goût pour l’anticonformisme, puisqu’il est le seul étudiant à accepter une bourse pour aller aux États-Unis : « Mon passage aux USA en 1949 a été totalement atypique par rapport aux gens de mon âge, se souvient-il en interview. J’étais attiré par tout ce qui était différent. Mes parents n’étaient pas français d’origine. On habitait Marseille pendant la guerre, et une réfugiée anglaise m’avait donné des cours. » À la suite de ce stage, il part en Afrique dans les colonies, comme d’autres ingénieurs également tentés par les pays en voie de développement.

C’est ainsi qu’il devient chargé de la Mission d’aménagement du fleuve Sénégal entre 1950 et 1953, puis chef de l’arrondissement hydraulique à Bamako, et enfin adjoint au chef du Service hydraulique de l’Afrique-Occidentale française de 1954 à 1958.

Une expérience dans des pays confrontés au manque d’eau qui servira plus tard sa vision de la gestion de l’eau telle qu’il contribuera à la mettre en place dans la loi de 1964, c’est-à-dire une gouvernance à l’échelle d’un bassin-versant, autour duquel les parties prenantes doivent se concerter en vue de régler les conflits. « Au Sénégal, j’ai pu voir ce qu’est l’agriculture en pays pauvre, expliquera-t-il des années plus tard, ainsi que la complexité de l’aménagement d’un bassin fluvial, sur le plan technique, certes, mais surtout sur le plan humain. L’eau est utilisée par toutes les activités humaines, et agir en faveur de l’une seulement de ces activités peut nuire grandement aux autres. »

En 1959, alors que la décolonisation bat son plein, il rentre en métropole. Le retour se révèle plus compliqué que prévu, mais, grâce à quelques relations entretenues en Afrique et « beaucoup de chance », Ivan Chéret parvient à devenir rapporteur général de la Commission sur l’eau du Plan, puis chef du Secrétariat permanent d’étude pour les problèmes de l’eau (SPEPE) en 1960, des organes au sein desquels seront élaborés les grands principes de la fameuse loi sur l’eau. À l’époque, l’enjeu est de taille, puisqu’il s’agit de répondre aux problèmes posés par l’urbanisation galopante : accès à l’eau potable pour tous, développement du réseau d’assainissement, lutte contre les pollutions. Comme il le racontera en 2011 lors d’un colloque, «les années 1960, c’était un autre monde ! Il y avait un développement industriel, agricole et urbain, tout ce monde avait besoin d’eau et tout ce monde en prenait, tout ce monde avait besoin de rejeter des déchets et tout le monde les rejetait, donc cette loi est passée au Parlement pour arrêter cela ».

Les négociations autour de cette loi seront âpres, notamment avec les élus locaux et les industriels, visés clairement par certaines propositions. Les chefs d’entreprise industrielle prétextent que l’application de la loi signifierait la mort de l’industrie en France. Rapidement, Ivan Chéret discute avec les associations de pêcheurs, très puissantes électoralement et aux premières loges des variations de quantité ou de qualité d’eau en été. Leur lobbying sera précieux dans le bras de fer avec les industriels, qui poussent alors pour classer les cours d’eau selon leur qualité, ce qui implique d’en « sacrifier » certains. Sous l’influence des ingénieurs des Mines et des Ponts, et avec le soutien ferme de la Compagnie Générale des Eaux, la loi de 1964 aura l’intelligence de s’appuyer sur des outils financiers et économiques pour préserver la ressource et inciter les industriels à dépolluer leurs eaux usées. D’un côté, la loi prévoit des aides pour la construction de stations d’épuration, de l’autre, elle instaure un principe dit du « pollueur-payeur », c’est-à-dire une redevance collectée par les agences de bassin sur toutes les activités polluantes, et qui servira à financer des opérations de protection de l’eau et des milieux aquatiques dans les six grands bassins identifiés par les experts.

En 1966, deux ans seulement après la promulgation de la loi, Ivan Chéret aura pour mission de rendre effective son idée des agences de bassin, inspirée par l’expérience allemande dans la Ruhr, où des syndicats coopératifs pilotent les aménagements en eau nécessaires au bon équilibre du bassin.

Dans un ouvrage collectif sur les 50 ans de la loi, Bernard Drobenko et Jérôme Fromageau en dressent un bilan élogieux : « Cette loi, très novatrice pour l’époque, a permis à la France de jouer un rôle exemplaire à l’international dans le domaine de la gestion des ressources en eau. Elle essaimera dans le monde entier et inspirera notamment [en 2000] le contenu de la directive européenne établissant un cadre pour la politique communautaire. » 

Ivan Chéret quitte ses missions au sein du SPEPE en 1970 pour devenir directeur du gaz, de l’électricité et du charbon au ministère de l’Industrie jusqu’en 1973, puis le président-directeur général de la SITA, spécialisée dans le transport et la valorisation des déchets, pendant plus de dix ans, avant de revenir à l’eau en prenant les fonctions de directeur de l’Eau à la Lyonnaise des Eaux de 1983 à 1989 ‒ la concurrente de la Compagnie Générale des Eaux qui deviendra Suez. En 1990, Ivan Chéret milite pour la création d’un nouvel organisme, futur Office international de l’eau (OiEau) dont il assure la vice-présidence. Visionnaire, il rédige à cette époque un article pour la Revue des Deux Mondes dans lequel il écrit : « Sécheresse et pollutions sont liées et demeurent les deux thèmes qui dominent l’actualité en ce début de décennie. Il est urgent de cerner les problèmes de gestion des ressources en eau et de leur protection contre les pollutions. Les mesures à prendre sont, avant tout, d’ordre politique. » Alors que le dérèglement climatique fait encore l’objet de controverses, Ivan Chéret alerte déjà l’opinion sur la disponibilité de la ressource en eau, notamment lors des pics de consommation, et son influence sur la qualité. Il préconise le traitement des eaux usées pour leur réutilisation et appelle les pouvoirs publics à prendre des décisions fortes pour arbitrer entre les différents usagers. Des sujets dont on redécouvre aujourd’hui l’importance majeure.

Le modèle français, fondement des développements à l’international

Les années 1980 et 1990 voient arriver le modèle français à maturité. Il continue à s’adapter : pour renforcer le dialogue compétitif entre les collectivités et les entreprises et supprimer les risques de collusion, l’État, par la loi Sapin 1 de 1993, met fin aux contrats de gré à gré et instaure, pour l’eau comme pour les autres secteurs, l’obligation des procédures d’attribution par appel d’offres et la limitation de la durée des contrats. Mais il est surtout prêt à faire école. 

Les entreprises françaises ont développé des compétences humaines et techniques uniques. Le modèle contractuel de la gestion déléguée à fait ses preuves pour accompagner la modernisation du pays. Un cadre institutionnel et financier a été posé pour encourager à la bonne gestion des ressources. Ces trois éléments fondent le socle de ce que les entreprises les premières – y voyant selon le professeur de politiques et tech­niques de l’eau Jean-Luc Trancart « un argument de développement » – commencent littéralement à appeler « l'école française de l’eau 4».

Le monde change, se globalise, et devient pourvoyeur de nouvelles opportunités pour développer les services environnementaux. Elles commencent avec le mouvement de privatisations engagé par Margaret Thatcher en Grande-Bretagne en 1983, puis avec la libéralisation des économies en Amérique latine et se poursuivent avec les projets de soutien au développement des pays d’Afrique, la chute du Mur de Berlin en 1989, le boom économique de la Chine…

Les entreprises françaises sont alors prêtes à saisir leur chance. Les américaines, qui ont tâché de se développer sur un tout autre modèle, ont fait faillite. Les contextes nationaux observés dans les autres pays européens n’ont pas davantage permis l’émergence de champions d’envergure. En France, « nous étions prêts à concourir le jour où le marché a commencé à exister, et nous étions les seuls », résume Antoine Frérot.

Usine élévatoire des Eaux d'Ivry / Installations Farcot, bâtiment des machines
© Archives Veolia

Pour tout dire, la Compagnie Générale des Eaux n’est pas la première à s’élancer dans la compétition internationale. Les équipes dirigeantes gardent la mémoire tenace des tentatives originelles de la Compagnie et restent convaincues que les dimensions locales et nationales priment au point d’empêcher tout espoir durable d’internationalisation. Il est vrai que les échecs avaient été cuisants, de Naples à Constantinople. Les développements à l’étranger à partir de 1879, qui avaient d’abord suscité beaucoup d’espoir – avec pour symbole l’inauguration du service de l’eau à Venise qui, après un chantier extraordinaire associant pose de conduites sous-marines au fond de la lagune et déploiement d’un réseau de distribution entre les îlots de la Sérénissime, donne lieu à une vraie fête populaire place Saint-Marc –, se révèlent dans les faits très risqués. La Compagnie s’expose aux aléas géopolitiques et, perçue comme étrangère, elle expérimente à partir de la Première Guerre mondiale l’expropriation et la confiscation des revenus, accumulant ainsi les pertes à l’étranger.

C’est donc la Lyonnaise des Eaux qui, la première, obtient des contrats en Grande-Bretagne mais aussi à Buenos-Aires, Manille, Djakarta... Mais dix ans plus tard, cette internationalisation se solde par de nombreux échecs, soulignant l’importance de modes de gouvernance précis.

« Notre chance est d’avoir manqué d’y aller les premiers », reconnaît Antoine Frérot. Car, riche de cet enseignement, la Compagnie, à son tour, part en mission. « Pour partir à la conquête des marchés internationaux, nous faisons deux choses, pointe le président de Veolia. On envoie en mission dans le pays des Français, souvent ingénieurs, et on théorise le modèle de français que l’on adapte aux spécificités locales. » Rien d’évident : « Quand on m’a envoyé la première fois à l’étranger, je me suis demandé si ce n’était pas une punition », se souvient Philippe Guitard, devenu depuis directeur d’une zone Europe centrale et orientale réalisant plus de 12 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Aujourd’hui à l’inverse, “le fait que nous ayons inventé ce modèle résonne encore fortement aux Etats-Unis”, pointe Frédéric Van Heems, directeur général de la zone Amérique du Nord. 

En Europe centrale et orientale comme Afrique, la Banque mondiale et la BERD « s’emparent du modèle de l’eau et le poussent » se rappelle Antoine Frérot. De même que l’État en France dans les années 1930, ces institutions voient dans les entreprises françaises des tiers de confiance pour mobiliser les bonnes expertises techniques et faire le meilleur usage des financements publics dédiés au développement.

L’Union européenne pose des conditions environnementales à l’intégration des pays de l’Est et exige de leur part un service public de l’eau digne, fiable, capable de traiter les pollutions. Ces contraintes occasionnent des appels d’offres pour la gestion du service d’eau et d’assainissement en Europe centrale, à Prague, à Budapest, à Bucarest, à Sofia, à Varsovie, à Erevan… « Nous sommes présents à Prague en 2003, avant l’intégration de la République Tchèque à l’Union européenne en 2004 », souligne Antoine Frérot.

Usine d’assainissement des eaux usées, Budapest.
© Médiathèque Veolia - Stéphane Lavoué

Le nom d’école française de l’eau est particulièrement à propos au sein de l’Union européenne : la directive-cadre européenne de 2000 reprend fidèlement les principes de la loi de 1964 et les approfondit en vue d’améliorer la qualité des cours d’eau européens, accroissant de fait le niveau d’exigence environnementale pour l’ensemble des pays européens et le potentiel de marché pour les entreprises du secteur.

La Chine aussi, en même temps qu’elle se développe à grande vitesse, s’ouvre aux entreprises françaises et fait le choix de la gestion déléguée, pour ses villes comme pour ses industries. Son attente d’association avec des partenaires nationaux correspond particulièrement aux convictions qui se sont forgées au sein de la Compagnie.

Une dynamique qui, après le temps des pionniers, se sera accélérée avec les années 2000, sous l’impulsion d’Antoine Frérot, qui fait le pari d’intégrer géographiquement les pays, et de ne plus organiser le groupe devenu Veolia à travers ses métiers mais à travers ses géographies, pour donner le primat à l’ancrage local. Pour rester sur le périmètre de l’eau, la délégation de service public, qui représente encore 2 % des services de l’eau en 2000, en représente 10 % au début des années 2020. Le groupe avec tous ses métiers, au début des années 2000, réussi à réaliser 20 % de son chiffre d’affaires à l’international ; en 2023, et après l’intégration des activités internationales de Suez, cette part sera de près de 80 %.

Sur le plan théorique, le modèle français de gestion de l’eau se voit dans le même temps conforté par les travaux de la première femme prix Nobel d’économie en 2009, Elinor Ostrom, selon laquelle on ne peut se satisfaire, dans la gouvernance des “communs”, d’un choix entre le marché et la régulation par l’Etat. Les enjeux autour d’eux étant multiples, elle souligne ainsi la nécessité de chercher une troisième voie impliquant tous les intervenants, dans un système polycentrique, mieux adapté aux circonstances. 

À l’heure de regarder vers l’avenir, la France peut avoir intérêt à enrichir son modèle de ceux qui se sont formés ailleurs. Avec la directive européenne sur l’eau, « on a ouvert de nou­veaux chantiers », nous éclaire Jean-Luc Trancart : « biodiversité des milieux aquatiques, réha­bilitation des cours d’eau, protection patrimoniale des res­sources... Quels acteurs institutionnels, économiques et industriels faut-il mobiliser pour prendre en compte ces usagers silencieux et insolvables que sont l’environnement aquatique et les générations futures ? Aux Pays-Bas, par exemple, le paie­ment de l’assainissement et de l’entretien des masses d’eau est une taxe d’habitation, en Angleterre 75 % des factures d’eau sont établies proportionnellement à la valeur locative du logement5. » Veolia, éprouvant aujourd’hui ces différentes spécificités nationales, pourra continuer à nourrir la réflexion pour penser ces nouveaux modèles.

Des premiers congés payés au programme Care : une tradition sociale au coeur du modèle

On attribue généralement les congés payés au Front populaire, or « il y avait des congés payés avant 1936 en France » , rappelle l’historien Pascal Ory. Les premiers congés payés ont d’abord été accordés aux fonctionnaires, qui bénéficient de 15 jours de congés payés dès 1853 - hasard de calendrier, l’année même où naît la CGE - à la suite d’un autre décret impérial de Napoléon III. « La fonction publique est la première dès le XIXe siècle à être choyée par les gouvernements successifs, y compris les gouvernements autoritaires du Second Empire. Il fallait en quelque sorte s’assurer de la loyauté des fonctionnaires en leur garantissant des conditions bien supérieures à celles du secteur privé. La nouveauté de 1936, c’est la généralisation » .

Par capillarité, certains secteurs privés ne sont pourtant pas en reste puisque, au tout début du XXe siècle, les salariés du métro parisien, ceux des entreprises électriques et des usines à gaz, ou encore les ouvriers du livre accèdent à ce même droit, un droit au repos et aux loisirs… La Compagnie Générale des Eaux fait partie du mouvement. Bien avant le Front populaire de 1936, les statuts du personnel de la Compagnie prévoyaient des congés payés et même une retraite pour ses employés. Alors que son modèle est dès l’origine concurrencé par la régie publique, la CGE démontre alors que “l’efficacité industrielle est compatible avec un projet politique sur les services publics de l’eau et de l’assainissement”.

Continûment animée par cette conviction, la CGE (puis Veolia) va développer une politique sociale attentive aux salariés du groupe, à leur formation, à leur mobilité professionnelle et sociale, à leur engagement au travail, à leurs droits.

Parce que ses activités nécessitent beaucoup de main d’œuvre et parce que les formations opérationnelles à ses métiers ne sont pas toujours disponibles sur le marché, la politique de formation offensive de Veolia est l’une de ses spécificités. En France, cet investissement s’est illustré dès 1994 dans le déploiement de campus Veolia conçus en partenariat avec les collectivités et les acteurs locaux de l’emploi et de la formation. « À l’époque, c’était une vraie originalité, s’enthousiasme Jean-Marie Lambert, ancien directeur général adjoint de Veolia chargé des ressources humaines. Ça a permis de créer de nouveaux métiers dans les transports et la propreté, tout d’abord, puis dans l’eau et l’énergie.

Dans ces années-là, même les séminaires du groupe avec les cadres dirigeants se passaient sur ces campus à Jouy-le-Moutier, Tarbes, Lyon... Les cadres côtoyaient alors des apprentis, par exemple, symboliquement, c’était fort. » Aujourd’hui, les campus ont disparu mais leur héritage persiste. « Je dirais qu’il y a trois axes que nous avons hérités de ces campus, conclut Jean-Marie Lambert : la primauté de l’alternance et de l’apprentissage dans la formation, la progression professionnelle, et l’union du groupe, car à l’époque il y avait beaucoup de divisions différentes. Depuis les années 2000, il y a un Veolia par pays. » Plus généralement, l’attention est toujours portée à l’adéquation aux besoins des territoires. Surtout, alors que les études en matière de formation démontrent que les plus qualifiés sont souvent favorisés pour y avoir accès, Veolia s’efforce de permettre aux moins qualifiés de se former et d’évoluer dans leurs métiers. Plus de 80 % de l’effort de formation sont destinés aux opérateurs et aux techniciens, et des parcours qualifiants et diplômants ont été créés pour favoriser l’ascenseur social au sein de l’entreprise. «La transformation écologique, qui s’articule par ailleurs avec la transformation digitale, va percuter l’emploi, en particulier les primo-accédants sur le marché du travail et les métiers peu qualifiés », fait valoir Olivier Carlat, directeur du développement social chez Veolia, pour qui il importe de faire de la transformation écologique « une opportunité de transformation sociale ».

Les dispositifs d’apprentissage et d’alternance se sont aussi développés depuis le début des années 2010, sous l’impulsion d’Antoine Frérot, pour favoriser l’intégration de tous dans l’emploi. Et avec une ambition plus large encore, c’est l’école de la transformation écologique qui est depuis 2022 en cours de constitution. « Nous avons la responsabilité de former et de sensibiliser non seulement nos collaborateurs mais aussi, en tant que leader, l’ensemble de nos parties prenantes à la transformation écologique, partage Laurent Obadia, directeur général adjoint chargé des parties prenantes, de la communication et de la zone Afrique Moyen-Orient. C’est pourquoi nous allons leur proposer de nombreuses formations, ouvertes à tous : dirigeants, salariés, professionnels en reconversion, étudiants en formation initiale, au cœur des territoires.» Parfois, ce sont les équipes à l’étranger qui sont à l’origine d’un dialogue social fructueux. « Il y a des pays dynamiques sur le plan des ressources humaines, note Jean-Marie Lambert. En Amérique du Sud, au Maroc, par exemple, ils sont réactifs sur la progression professionnelle et tout ce qui est sociétal, ça nous a encouragés à faire un recueil des initiatives sociales, avec un jury qui remettait des prix aux plus méritantes. Ça mettait en valeur l’insertion de personnes en difficulté, les actions solidaires, et ça valorisait les collaborateurs et les collaboratrices. »

Veolia épouse également les nouvelles approches managériales, pour responsabiliser davantage chaque collaborateur. «On rend un service de proximité, 24h/24, 7j/7, et pour nos clients, Veolia, c’est d’abord le manager de proximité, explique Frédéric Van Heems, directeur général Amérique du Nord. Nous devons en permanence chercher à ce que, avec ses équipes, ils se sentent accompagnés et en responsabilité: c’est comme cela qu’ils donneront le meilleur d’eux-mêmes. »

Estelle Brachlianoff a aussi tenu à ce que le socle de modèle social de Veolia ne s’arrête pas aux frontières de l’Hexagone mais s’étende à tous les collaborateurs des pays où Veolia opère, y compris là où la loi ne l’exige pas.

Congé parentalité avec un minimum de dix semaines, couverture santé, couverture décès avec un système de prévoyance garantissant six mois de capital décès minimum, soutien aux salariés « aidants » qui prennent en charge un proche gravement malade, bénévolat associatif permettant à chaque collaborateur de consacrer une journée par an à une association sur son temps de travail... Cette protection, qui accompagne les salariés dans les moments clés de leur vie, formalisée dans le programme Care, a vocation à s’appliquer partout et à tous. « En plus de lutter contre les inégalités géographiques ou de statut en matière d'avantages sociaux, ce programme permet de soutenir la diversité, essentielle au bon développement du groupe, indique Isabelle Calvez, directrice des ressources humaines de Veolia. Il favorise également son attractivité auprès de toutes celles et tous ceux qui souhaitent trouver du sens dans leur activité professionnelle tout en bénéficiant d’un modèle social propre à leur épanouissement. »  

Ouverture du marché chinois : des opportunités de PPP pour les entreprises étrangères

Au début des années 2000, la Chine devient la quatrième puissance économique sur le plan commercial, poursuivant ainsi sa forte croissance économique initiée vingt ans plus tôt. Si le gouvernement chinois, soucieux de contrôler son passage à l’économie de marché, met en place au début des années 1980 une politique d’ouverture graduelle, au début des années 2000, l’ouverture s’intensifie avec la politique de la “porte ouverte” invitant alors les entreprises étrangères à s’installer dans le pays.

C’est dans ce contexte que Veolia signe en 2002 un contrat de 50 ans avec la ville de Shanghai pour opérer l'eau du quartier d'affaires de Pudong. Elle est alors la première société étrangère autorisée à proposer des services d'approvisionnement d'eau dans le pays, via un partenariat public-privé (PPP).

Sa mission : assurer la sécurité de l'eau pour la région de Pudong et les grands événements organisés à Shanghai, tels que l'exposition universelle de 2010. Au cours des 20 dernières années, la zone de service s’est considérablement étendue, tandis que la longueur du réseau a plus que doublé.
Et ce contrat n’est que le début d’une longue histoire de partenariat public-privé entre l’entreprise française et la Chine, puisque un peu plus d’un an après, Veolia remportait deux autres contrats de délégation de service public : l’un d’une durée de 50 ans avec la ville de Shenzhen pour la production et la distribution de l'eau potable, l’autre de 20 ans pour l’exploitation de l'usine de traitement d'eaux usées de Lugouqiao, située dans la partie ouest de l'agglomération de Pékin - en vue notamment des Jeux Olympiques 2008. Forte du succès du projet de Pudong, Veolia s'est lancée dans d'autres concessions d'eau à Changzhou, Kunming, Tianjin et Haikou.

Le “Waterworks Amendment Act” au Japon : le début d’une longue histoire entre collectivités locales japonaises et entreprises privées

En 2002, le “Waterworks Amendment Act” est promulgué au Japon. Les collectivités locales japonaises peuvent désormais déléguer la gestion de leurs services publics d'eau à des entreprises privées. Veolia qui avait anticipé cette loi, en préparation depuis plusieurs mois, s’installe un peu avant sur l’Archipel. 

Le temps que les collectivités locales s’organisent pour mettre en place les délégations de service public, l’entreprise française remporte en 2006 le contrat pour l’exploitation de l'usine de traitement des eaux usées d'Hiroshima, l'un des projets les plus importants jamais délégués par une municipalité japonaise dans le cadre d'un contrat d'exploitation et de maintenance.

En 2012, Veolia remporte le contrat pour l’exploitation et la maintenance, pendant cinq ans, de l'ensemble des usines d'eau potable desservant la ville de Matsuyama, située au sud de l'Archipel, sur l'île de Shikoku. Dès lors, en plus d’être le seul groupe non japonais opérant au Japon sur le marché des eaux usées, Veolia est désormais aussi le seul présent sur celui de l'eau potable.

Veolia développe quatre ans plus tard une activité sur l’énergie avec l’exploitation de deux centrales biomasses, avant de s’inscrire comme un acteur de la gestion des déchets, soutenant ainsi le développement d'une économie circulaire et la décarbonisation au Japon.

  1. Christelle Pezon, Le service d’eau potable en France de 1850 à 1995, p.18 ↩︎
  2. Christelle Pezon, ibid, p121 ↩︎
  3. Claude Truchot, “La loi sur l’eau du 3 janvier 1992 à 20 ans”, Pour mémoire n°11, Revue du ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie,  p11, été 2012 ↩︎
  4. Jean-Luc Trancart, "L’avenir de l'École française de l’eau". MINES Revue des Ingénieurs, janvier-février 2012, n°458 ↩︎
  5. Ibid. ↩︎