Du tri à la réduction des déchets : accompagner le changement des mentalités
Certains royaumes africains du Burkina Faso avaient un étrange proverbe : « On reconnaît un grand chef à ses ordures. » Les ordures ne cessant jamais d’être socialisées, les vassaux des rois mossis avaient en effet l’obligation d’apporter les leurs à l’entrée de la capitale pour faire grandir un tas d’ordures démontrant l’étendue du pouvoir royal. Jeter le moins possible de déchets pourrait donc être un signe de richesse, récompensé par de nouvelles gratifications symboliques, voire un nouveau modèle de tarification. À l’heure où toutes les sociétés modernes font face aux mêmes défis et où les apprentissages circulent désormais aussi des Suds vers les Nords, ce serait engager un changement profond des mentalités, qui romprait avec ce que Georges Bataille a appelé « la part maudite de la modernité », c’est-à-dire la dissipation par les humains de la part d’énergie non nécessaire au fonctionnement de la vie.
Grégory Quenet
En 1883, le célèbre décret d’Eugène Poubelle prévoyait déjà un tri sélectif des ordures à la source: un récipient pour les déchets organiques, un pour les papiers et les chiffons, et un pour le verre, la faïence ou les coquilles d’huîtres. Peu acculturés au geste du tri, qui était opéré par les récupérateurs, jusque-là, notamment les chiffonniers et vidangeurs, les Parisiens ont rapidement abandonné cette perspective, sur laquelle personne ne reviendra pendant plus de cent ans. En 1992, la loi Royal veut de nouveau inciter les collectivités territoriales au tri sélectif des emballages, afin de valoriser le recyclage des matières premières, mais la transcription de l’esprit de la loi dans les mœurs prendra en fin de compte une trentaine d’années. Il faut dire que son application est particulièrement complexe : le tri implique à ses débuts de distinguer les différents types d’emballages, car tous ne se recyclent pas. Dans un premier temps, les règles de tri ont été limitées aux bouteilles et flacons en résine PET, utilisée par exemple dans les bouteilles d’eau minérale, et PEHD, celle des flacons de lessive. Si cette filière s’est mise en place avec succès, elle « n’a pas permis de développer le recyclage des autres emballages en plastique comme les barquettes, les pots ou encore les films», explique Citeo1, l’éco-organisme spécialisé dans les emballages.
L’émergence de nouveaux métiers et d’une nouvelle sensibilité
Malgré les difficultés, la loi va bientôt faire émerger de nouveaux métiers autour du tri et du recyclage. « Les services qui s’occupaient des déchets ménagers de Rennes Métropole étaient gérés par trois personnes en 1993 !, s’exclame Martial Gabillard, directeur de la valorisation des flux chez Veolia en France, alors qu’aujourd’hui 200 personnes travaillent dans ce secteur. Des milliers de métiers ont été créés, des ingénieurs et des techniciens spécialistes de l’environnement, afin de répondre à la nouvelle demande. » Au début des années 1990, la Compagnie Générale des Eaux, qui dirige aussi diverses sociétés dans les déchets, le transport et l’énergie, peine à recruter des profils pour accompagner les nouveaux métiers dans ces domaines, car « il n’existait que deux petits cycles d’études portant sur les métiers du chauffage collectif, quasiment aucun sur ceux de l’assainissement, et absolument aucun sur ceux du transport et de la collecte des déchets », se souvient Hilaire de Chergé1, ex-directeur de la performance RH chez Veolia. Veolia inaugure en 1994 à Jouy-le-Moutier un campus qui délivre des formations diplômantes. « C’était une véritable originalité, ajoute Jean-Marie Lambert, ancien directeur général adjoint de Veolia chargé des ressources humaines. À l’époque, ces formations n’existaient pas, donc on s’est mis d’accord avec le rectorat et les universités pour créer des diplômes dans ces métiers, du CAP jusqu’au master, avec de l’alternance et de l’apprentissage. »
Au milieu des années 2000, les campus Veolia forment chaque année environ 600 apprentis et reçoivent 15000 personnes pour des stages. « Conformément à la motivation initiale, ce développement considérable de la formation interne a amélioré l’image de nos métiers et facilité le recrutement », souligne Hilaire de Chergé. « Contrairement à ce que beaucoup craignaient, il a aussi contribué à une fidélisation du personnel. » Avec la professionnalisation du secteur, la sensibilisation et la pédagogie ont fini par rendre le geste de tri relativement banal aujourd’hui. Il est même devenu emblématique de notre prise de conscience écologique, l’engagement minimum du citoyen pour l’environnement. D’ailleurs, selon le baromètre Elabe Veolia 2023 de la transformation écologique, 84 % des Français sont prêts à trier davantage leurs déchets pour lutter contre la pollution, un chiffre sensiblement identique à celui de la population mondiale. «L’intégration des usagers, sollicités à prendre part au tri pour le recyclage, s’est prolongée en impliquant les consommateurs, responsabilisés dans leurs pratiques de consommation », complète Laurence Rocher2, maîtresse de conférences en urbanisme et aménagement à Lyon 2. En d’autres termes, le tri sélectif ne suffit pas à résoudre le problème des déchets, il faut aussi changer notre façon de consommer.
En 2008, une directive européenne traduit cette sensibilité émergente dans le droit, en établissant une hiérarchie des modes de gestion des déchets : prévention, préparation en vue du réemploi, recyclage, autre valorisation et enfin élimination quand aucun autre mode n’a pu être activé. En résumé, le meilleur déchet est celui qu’on ne produit pas, et on commence à parler de réduction des déchets, voire de sobriété. Ce mot désigne un mode de vie plus simple, fondé sur une frugalité de consommation dans tous les domaines. Dans son article « Vers une société de la sobriété : les conditions d’un changement de comportement des consommateurs » rédigé pour la revue de l’institut Veolia, Valérie Guillard écrit: « L’impact négatif des modes de vie sur l’environnement implique de dépasser l’économie circulaire (réemploi, recyclage, écoconception) pour des modes de vie plus sobres. La sobriété est un mode de vie qui ne consiste pas uniquement à mieux consommer mais aussi et surtout à moins consommer. »
Pour la docteure en sciences de gestion, c’est un changement radical du mode de vie des consommateurs et de leur rapport aux objets : « Une acquisition sobre implique de revoir le type d’objets à acquérir, la façon et les lieux pour le faire. [...] Acheter sobrement consiste également à acheter des produits de qualité, durables, en s’interrogeant notamment sur leurs matières. Cela implique de ne pas uniquement penser l’objet mais de le ressentir, n’engageant plus uniquement les représentations et croyances mais aussi la connaissance, la sensorialité. » Du tri à la réduction des déchets, il y a donc un nouveau saut quantique. Si nous avons réussi à jeter l’anathème sur la société du tout jetable, parviendrons-nous à le faire avec la société du gaspillage? Quels ont été les vecteurs de l’adoption du geste de tri sélectif par la société française ? Comment pousser encore plus loin en encourageant un autre rapport aux déchets? Un peu partout dans les pays riches, on commence à voir poindre ce changement de mentalité qui modifie progressivement nos perspectives sur la production des déchets. Zéro déchet, vrac, réemploi, réparation, location, prêt, troc, les nouveaux usages de consommation sont nombreux et agiles, s’adaptant à toutes les situations. Comment faire pour les généraliser dans la population, tout en assurant la continuité d’une vie prospère ? Ce sont les défis qui attendent aujourd’hui nos sociétés.
Le difficile passage au geste de tri : l’exemple français
Des convictions aux actes, le passage est parfois difficile. Et ce fut particulièrement difficile en France. Le 27 août 1998, le journal Le Monde titrait « Le tri sélectif des déchets a du mal à entrer dans les mœurs des Français ». La première fois que les Français se sont mis à trier, c’était en 1977 avec les expérimentations pour le tri du verre, puis à la fin des années 1980 avec les vieux journaux. Des dispositifs plus importants voient le jour au début des années 1990, mais seuls 6 % des déchets sont triés en France 1998.
Les limites du primat donné à l’action locale
Les collectivités locales sont en première ligne pour gérer les déchets et mettre en place les collectes sélectives. Or, seules 10000 des 36000 communes que compte le pays l’ont fait, soit moins d’un tiers. Il faut dire que le système du tri sélectif exige un financement largement supérieur à la mise en décharge, qui prévalait la plupart du temps dans les zones rurales, et que les communes ont souvent rechigné à assumer. D’où un recours parfois excessif à l’apport volontaire de la part des usagers, un système qui n’a pas toujours été efficace.
L’article souligne aussi la complexité organisationnelle du tri et la manière dont elle pèse sur les comportements des usagers: «Le tri sélectif des déchets impose une discipline quotidienne contraignante. Comment encourager les usagers à ôter les bouchons des bouteilles, souvent fabriqués dans une résine qui diffère de celle du contenant » – a fortiori quand la règle peut varier d’une commune à une autre ?
Comme l’explique Franck Pilard, directeur commercial chez Veolia Recyclage et Valorisation des déchets, « dans la lignée de la décentralisation à la française, on a laissé des latitudes d’action au niveau des communes et intercommunalités. Chacune a pu décider de façon souveraine quel était le meilleur schéma de collecte. Du coup, en fonction de plein de raisons historiques et contingentes, on a eu des configurations disparates, et, en effet, quand vous déménagiez ou que vous partiez en vacances, il n’y avait pas de continuité dans les consignes de tri, même les couleurs des bacs n’étaient pas harmonisées». Certaines communes mettaient à disposition des bacs spéciaux de couleur bleu pour le recyclage du papier, tandis que d’autres ne le séparaient pas de la poubelle jaune. Ces conteneurs bleus accueillaient alors tous les types de papier... sauf les tickets de caisse, les enveloppes à fenêtre, le papier photo, le papier peint, ou encore le papier cadeau. Pour les emballages, dont un grand nombre est constitué d’un mélange composite, il a existé pendant longtemps une multitude d’exceptions variant selon le lieu où vous habitiez: les boîtes d’œuf, les pots de yaourt, les tubes de dentifrice, les films plastiques, les sacs plastiques, les cartons de pizza, provoquaient des abîmes de perplexité chez les consommateurs face à leurs poubelles. Sans compter toute une liste de déchets spécifiques que le consommateur doit encore apporter à des collecteurs dédiés : médicaments, piles, ampoules, vêtements, jouets, déchets électroniques, etc.
Standardisation, transparence, pédagogie et incitations : les clés de la réussite
« Plus les consignes sont claires, plus elles sont simples à intégrer, plus elles sont stables dans le temps, plus elles peuvent être comprises et appliquées par tout un chacun », soutient Matthieu Carrère, responsable Tri et Traitement biologique - Recyclage et Valorisation des déchets chez Veolia. Depuis 2009 et une étude de l’Ademe, l’extension des consignes de tri (ECT) a ainsi fait l’objet d’un projet national pour simplifier le geste de tri en autorisant les habitants à trier tous leurs emballages de la même façon partout en France. C’est la loi de transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015 qui va graver dans le marbre un échéancier aboutissant à la généralisation du tri en 2023 pour la quasi-totalité des territoires français. En indiquant à l’ensemble de la population de mettre tous les emballages, sans distinction, dans la corbeille de tri, cette simplification permet à chacun de moins réfléchir au moment de jeter ses ordures. À la clé, ce sont chaque année 3 kilogrammes d’emballages supplémentaires par habitant qui seront recyclés.
Il a également été nécessaire de rendre le tri concret auprès du grand public – et, en l’espèce, l’approche locale a permis de faire la différence. Depuis 1993, le centre de tri et de valorisation des déchets Arc-en-Ciel 2034 a été pensé par Veolia autant comme une usine modèle qu’une vitrine pédagogique pour la région. « Nous avons tellement mobilisé les écoles du secteur que ça a marqué les esprits locaux, explique Annaïg Pesret-Bougaran, sa directrice. Chez les Nantais, tous connaissent l’usine Arc-en-Ciel, car ils sont venus visiter le site quand ils étaient plus jeunes, c’est ce qui fait changer les mentalités et valorise nos métiers. » Le centre accueille chaque année 7 000 visiteurs et remet au goût du jour régulièrement ses infrastructures : un amphithéâtre pour les conférences, une galerie présentant des expositions, des circuits de visite actualisés, un parking d’accueil et un écopôle avec des jeux multimédias. « Les gens sont surpris de voir ce qu’il se passe dans le centre de tri, enchérit-elle. La plupart n’ont aucune idée des technologies ni des moyens humains qu’il faut mobiliser pour gérer leurs déchets. » L’apport des sciences comportementales est également décisif, et Veolia n’hésite pas à y faire appel dans sa politique de sensibilisation.
Que ce soit dans son travail avec les collectivités ou avec les établissements recevant du public, le groupe use des ressorts qui ont été validés par cette approche scientifique et psychologique : utilisation d’un seul logo compréhensible de tous, harmonisation des couleurs au niveau national, suppression du mot « emballage », trop vague, affichage des consignes de tri sur la tranche de la poubelle, sur le couvercle et à l’intérieur du couvercle, préférence pour un message court, clair et compréhensible par tous, voire pour des photos et des pictogrammes réalistes, plus efficaces que le texte. Franck Pilard de Veolia cite en outre des techniques de plus en plus employées pour inciter les gens à trier en bonne intelligence, telles que le « revending » ou le « nudge ».
La première méthode consiste à rapporter des bouteilles en plastique ou des canettes dans un point de collecte, en échange de bons d’achat ou d’un montant reversé à une association caritative. Il peut aussi s’agir tout simplement de relancer la pratique de la consigne de certains emballages, employée avec succès en Allemagne, en Suède et au Danemark. Quant au nudge, il se traduit par un « coup de pouce » discret et ludique visant à infléchir le comportement des gens. À Lille, par exemple, des pochoirs amusants guident les usagers vers les poubelles, tandis qu’à Londres, un nudge propose de « voter » en jetant ses mégots dans la poubelle correspondant à son choix ( « Qui est le meilleur joueur, Messi ou Ronaldo ? » ).
Au-delà de ces incitations, les services de la collecte peuvent agir au quotidien sur le comportement des habitants : ne pas collecter un bac, mettre un autocollant sur un sac mal trié, faire de la prévention auprès des habitants. La numérisation des services promet par ailleurs de bons résultats, comme avec la communauté de communes Cœur Côte Fleurie, qui s’est lancée, avec l’aide de HomeFriend, une filiale du groupe Veolia, dans la création du chatbot « Sophie » en 2018. La numérisation, couplée à l'intelligence artificielle, permet aussi, en sens inverse, d’adapter le service aux comportements.
À Angers, des dizaines de points d’apport volontaire (PAV) ont été équipés de capteurs connectés, dont les données collectées en temps réel aident à optimiser la gestion, et même à repenser leur implantation, afin de les adapter aux attentes et besoins véritables des habitants. En apportant de la flexibilité dans les règles de dépôt, dans les horaires autorisés, par exemple, il sera possible d’inciter davantage les citoyens au tri. En améliorant l’éclairage public ou en intégrant des dispositifs de vidéosurveillance sur les points de collecte, les riverains, les personnes âgées, les femmes seules, seront plus enclins à réaliser leurs dépôts en soirée. C’est ainsi que le geste de tri s’est peu à peu imposé en France, et dans beaucoup d’autres pays, comme le geste le plus évident de protection de la planète.
Des premières machines aux robots intelligents, les métiers du tri se simplifient la vie
Le premier geste de tri ne suffit pas à assurer le recyclage de nos déchets : après l’action des citoyens, des femmes et des hommes réalisent un tri complémentaire pour le rendre possible. En quelques décennies, cette seconde étape de tri des déchets s’est affinée, pour devenir capable de distinguer avec une précision chirurgicale différents types de matières sur la chaîne. Cependant, la pénibilité des métiers du tri reste une constante difficile à surmonter : des chiffonniers parisiens du xixe siècle aux opérateurs de tri des grands centres actuels, le principe n’a pas tellement changé, il faut mettre la main dans les ordures.
Alors, pour améliorer la vie de ses employés, Veolia investit depuis quelques années dans des robots industriels munis d’intelligence artificielle.
Si les usines de tri ont été peu concernées par la révolution de la robotique industrielle dans les années 1960 et 1970, la plupart des tâches étant trop complexes pour les robots à l’époque, elles intégraient toutefois déjà des machines mécaniques pour séparer les déchets. Les premières de ces machines utilisées par les opérateurs, comme le trommel ou le séparateur magnétique dit « overband », datent ainsi du milieu du XXe siècle. Les trommels sont des tamis cylindriques et rotatifs qui permettent de laisser échapper les déchets en fonction de leurs dimensions.
L’overband, lui, est constitué d’un aimant électromagnétique placé au-dessus d’une courroie transporteuse. Lorsque les déchets passent sous l’aimant, les matériaux ferreux sont attirés et capturés par la force magnétique. Depuis 1984, certains centres de tri sont également équipés d’un séparateur à courants de Foucault qui sert notamment à isoler l’aluminium du reste des déchets.
À partir de 1992, la loi Royal, qui promeut le tri sélectif des déchets en France, va faire progresser les techniques de tri. Face au défi d’augmenter les cadences et les volumes de tri, les entreprises développent des solutions pour gagner en temps et en efficacité, et donc en confort de travail. Dans les années 1990, l’introduction des machines ouvreuses de sacs remplace progressivement l’ouverture manuelle des sacs, une tâche intense et chronophage. Grâce à des lames rotatives, des rouleaux dentelés ou des griffes pour couper et déchirer les sacs, les machines ouvreuses ont permis d’automatiser cette étape et de soulager le travail des ouvriers. En parallèle, les capteurs infrarouges ont fait leur apparition pour affiner la séparation des flux de matières. Chaque matière émettant une certaine longueur d’onde, les capteurs peuvent les détecter et les orienter vers la prochaine phase de tri pour faciliter leur recyclage.
Des métiers du tri moins pénibles demain grâce aux robots ?
On connaît tous Wall-E, le célèbre robot du dessin animé Pixar qui a pour mission de nettoyer les innombrables déchets sur la planète Terre pendant que l’humanité a déserté dans l’espace.
Difficile de savoir si Wall-E est un cousin éloigné de Max-AI, mais en tout cas leur travail est complémentaire ! Développé par Veolia, ce robot fonctionne à l’aide d’une intelligence artificielle, qui pilote un bras robotisé et une caméra. Grâce au machine learning, Max-AI trie les différentes matières avec une performance de 3 600 gestes par heure, contre 2 200 pour un humain, et un taux d’erreur de 10 %. Pour l’instant, Max nécessite un être humain pour être formé et surtout pour vérifier qu’il a bien fait son travail. Comme le confie Annaïg Pesret-Bougaran, directrice de l’usine Arc-en-Ciel à Couëron gérée par Veolia, « même si l’intelligence artificielle est l'étape ultime, on a toujours besoin des opérateurs de tri, on ne sait pas encore remplacer l’homme ».
Dans la même veine, le robot Rob’Inn promet d’assister les travailleurs et travailleuses des centres de tri d’ameublement. En effet, avec son bras robotisé et ses deux caméras, ce géant des robots fonctionne grâce à une analyse tridimensionnelle des images photographiées, lesquelles sont ensuite envoyées sur une tablette à un opérateur qui sélectionne les objets à trier. Dans les usines Veolia, Rob’Inn permet de doubler la productivité des centres ainsi que de valoriser des matières à 100 %.
On le voit, les robots sont à la fois l’occasion pour des opérateurs de monter en compétences, et la possibilité de répondre à une demande de tri toujours plus complexe.
Directeur technique et performance de l’activité Recyclage et Valorisation des déchets (RVD) Centre-Ouest chez Veolia, Marc Brunero rappelle ainsi que « l’extension des consignes de tri pour augmenter les quantités de matières recyclées nous a apporté dans les collectes sélectives des déchets plus souillés qu’auparavant, et donc moins faciles à trier ».
Rob’Inn et Max-AI sont des solutions qui atténuent la pénibilité des travailleurs et renforcent leur sécurité, sans pour autant supprimer totalement le besoin d’expertise humaine.
Ils permettent aux employés d’acquérir de nouvelles compétences pour ensuite évoluer dans leur carrière : des trieurs en cabine sont devenus conducteurs d’engins puis conducteurs de ligne robotisée. Comme l’explique encore Marc Brunero : la solution robotique « répond bien à notre objectif principal : continuer à simplifier les gestes du trieur, source d’une meilleure sécurité au travail, tout en dopant les performances du tri des flux de matières ».
De la réduction des déchets à un nouveau rapport aux objets
« Même si la quantité d’ordures ménagères produite par habitant en France tend à stagner, voire à diminuer (autour de 350 kilogrammes par an et par habitant), la quantité globale des déchets et leur distribution inégale ne cessent de s’accentuer. Les citoyens des États-Unis produisent ainsi deux fois plus d’ordures ménagères que les habitants d’Europe et trois à quatre fois plus que ceux des pays pauvres », constatent les chercheurs François Jarrige et Thomas Le Roux3 dans un entretien donné dans la revue Mouvement. Selon un rapport de l’OCDE publié en juin 2022, les déchets en plastique pourraient même tripler entre 2019 et 2060, passant de 353 à 1014 millions de tonnes. Cette croissance des déchets s’accompagne en parallèle d’une hausse globale et d’une instabilité du cours des matières premières depuis la guerre en Ukraine, ce qui occasionne des difficultés d’approvisionnement pour les industries. Dans ces conditions, le tri et le recyclage sont cruciaux, mais ils ne suffisent pas à résoudre l’enjeu des déchets.
L’énergie sur Terre n’est pas illimitée, et la matière ne se recycle pas à l’infini. « Pour certains matériaux, il y a une dégradation importante dans le cycle de recyclage : plastique, papier, carton, analyse Flore Berlingen4, ancienne directrice de Zero Waste France et essayiste. Cela fait qu’on est obligé d’ajouter de la matière vierge, et on ne peut pas fabriquer le même objet à partir de l’objet initial. Ensuite, même pour les matériaux qui se recyclent mieux, comme le verre ou l’aluminium, vous avez quand même des consommations de ressources énergétiques ou d’eau qui sont à prendre en compte. » Flore Berlingen préconise donc l’amélioration et la standardisation du recyclage, avec plus de produits monomatières, mais aussi l’arrêt de la consommation de produits jetables.
Depuis les années 2000, la réduction des déchets est devenue un cheval de bataille de l’Union européenne, qui l’a inscrite dans sa directive de 2008. En France, la loi Anti- gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) de 2020 repose sur la hiérarchie des 3 R : réduction, réemploi et recyclage. Cette loi vient cristalliser une tendance déjà à l’œuvre dans une petite partie de la société, et symbolisée par le mouvement zéro déchet, qui essaime depuis les années 2010. Contrairement à ce que son nom indique, le zéro déchet ne vise pas à ne produire aucun déchet, mais à tendre vers cet idéal. La papesse française du mouvement s’appelle Béa Johnson. La célèbre blogueuse s’est fait connaître par son livre Zéro déchet (2013), dans lequel elle explique comment elle et sa famille ne produisent plus qu’un seul bocal de déchets par an et ont réalisé 40 % d’économie. Les bocaux et le vrac en remplacement des emballages jetables des supermarchés, le savon solide à la place des bouteilles de gel douche, des cotons-tiges réutilisables..., le jetable disparaît des maisons des adeptes de ce mode de vie. En France, l’engouement est certain puisqu’en 2020 81 % des Françaises et des Français avaient déjà entendu parler du zéro déchet, tandis que pour 91 % d’entre eux, il est important de réduire ses déchets.
Pour autant, les mentalités peinent à changer aussi sur ce volet. Des décennies de surconsommation, la baisse du prix de certains produits quotidiens, l’attrait du prêt-à-jeter, continuent d’engendrer des pratiques de gaspillage, parfois à l’insu même des consommateurs. Lors de ses études sur la psychologie du consommateur, qui donneront lieu à l’ouvrage collectif Du gaspillage à la sobriété (2019), Valérie Guillard a constaté cette forme de déni de la part des gens. « Aujourd’hui, on associe surtout le gaspillage à ce qui est alimentaire, remarque-t-elle.
Ce n’est pas un concept qu’on emploie pour les objets ; les gens estiment qu’ils ne les jettent pas, et d’un certain côté c’est vrai. Ils accumulent sans réparer, ils mettent dans un coin, alors pour eux, ce n’est pas considéré comme du gaspillage. Mais, en réalité, ils ne donnent pas leurs objets et ils ne les réutilisent pas, donc oui, c’est du gaspillage. »
Pour Valérie Guillard, nous avons trop utilisé les objets comme une façon de nous distinguer socialement, de nous définir. Même si des disparités existent entre les villes et les campagnes, chacun gaspille à sa manière. La chercheuse explore donc les nouveaux rapports aux objets qui traversent certaines couches de la société, notamment le soin qu’on porte aux choses. «On a perdu ce réflexe d’entretenir nos objets, constate-t-elle, on ne sait plus comment faire. Beaucoup de choses coûtent si peu cher que ça n’est pas rentable de les réparer. Et ça prend du temps de raccommoder un vêtement ! Qui sait encore le faire ? On n’y pense pas, car on n’a pas l’habitude : nettoyer le filtre du lave-linge, gonfler les pneus du vélo ou graisser la chaîne.» Les mentalités commencent malgré tout à évoluer, des pratiques comme l’emprunt, le don ou la location d’objets émergent et sont médiatisées. «La consommation sobre, c’est aussi mutualiser, explique Valérie Guillard. C’est local, dans un périmètre donné. Encore une fois, ça ne correspond pas encore à nos normes de consommation, même si des initiatives existent. »
C’est le cas des tiers-lieux et des « repair cafés», ces ateliers de réparation collaborative d’un nouveau genre, qui essaiment sur tout le territoire avec le soutien d’associations, de collectivités territoriales et de l’État. Au sein de la REcyclerie, tiers-lieu situé dans le XVIIIe arrondissement de Paris, on trouve par exemple depuis 2014 L’Atelier de REné, dont Veolia est partenaire. L'objectif de ce lieu ? Lutter contre l’obsolescence programmée en réparant des objets du quotidien, en prêtant des outils et en partageant des connaissances. Après cinq années d’existence, L’Atelier de REné a réparé plus de 3 000 appareils de petit électroménager. Ces solutions se développent aussi sur les sites que sont les centres de tri ou les unités de valorisation énergétique, comme à Bordeaux. À Floirac, plus précisément, où Veolia a lancé en 2014 une déchetterie d’un nouveau genre, Recycl’Inn, dans laquelle est intégrée une aire de récupération des objets domestiques usagés pouvant avoir une seconde vie, ainsi qu’une aire de réception spécifique du mobilier usagé. Une façon de faire du lien avec le tissu associatif local et d’investir ces sites comme des lieux de vie intégrés dans le paysage urbain.
« On est là au cœur de l’enjeu de demain : la prévention, le réemploi, note Franck Pilard. Mais pour faire ça, il ne faut pas collecter comme avant, il faut faire mieux et moins. On parle de captation, plutôt que de collecte. Si je veux réemployer un objet, il faut que je préserve l’intégrité physique du bien capté. Historiquement, on était payé à la tonne et pas à la pré- vention : on prend des bacs, on les vide, on évacue les déchets et on les compacte vers le centre de tri. Mais si je compacte, je ne peux pas aller vers la réparation, le réemploi, la réutilisation. » Alors comment faire ? Changer les modes de collecte des ordures ménagères, par exemple, la gérer à vélo, par bateau, même à cheval. Réduire la fréquence de passage des camions, qui a parfois lieu cinq fois par semaine dans certaines villes, là où d’autres ne bénéficient que d’une collecte hebdomadaire – certains quartiers de Rennes ou Nantes. « On peut aussi diminuer le volume du bac, ajoute Franck Pilard, mais il faut faire attention à rester équitable socialement, on doit faire en fonction des types de famille. Nous devons aller vers une relation plus étroite avec le citoyen, car c’est lui qui détient les déchets. Si on veut qu’il réemploie, il faut travailler avec lui et connaître ses comportements. »
Une première directive européenne en 2008, puis une seconde en 2018, sont venues soutenir cet objectif, encourageant les États européens à mettre en place des systèmes de tarification en fonction du volume de déchets. Aujourd’hui, 6 millions de Français sont soumis à la tarification incitative, un chiffre qui devrait augmenter, sous réserve de parfaire la concertation avec les habitants et de réaliser des investissements en conséquence, seules garanties d’une justice sociale préservée. Veolia propose en ce sens plusieurs types de solutions, en facturant à la levée ou à la pesée. La première est calculée en fonction du nombre de fois où votre bac sera collecté, la seconde en fonction du poids de vos poubelles – mais elle coûte plus cher à la commune et peut entraîner des comportements inciviques, source d’éventuelles contestations. Dans tous les cas, plus vous amenez vos déchets au compost, à la déchetterie, aux points d’apport pour le recyclage, plus votre facture sera allégée. Des mécanismes d’incitation à adapter aux spécificités locales, et notamment aux typologies d’habitat.
La législation française, enfin, a à nouveau témoigné de sa capacité offensive avec la loi AGEC, qui, si elle transpose en droit français des attendus européens, va plus loin en faisant du «gaspillage» l’axe central de sa réglementation, qui ne cite le mot que pour son usage alimentaire. Adoptée en 2020, elle vise à transformer notre économie linéaire, suivant le modèle «produire, consommer, jeter », en une économie circulaire. Ces objectifs sont au nombre de cinq: sortir du plastique jetable, mieux informer les consommateurs, lutter contre le gaspillage et pour le réemploi solidaire, agir contre l’obsolescence programmée, et enfin mieux produire. Autant de défis à relever pour les individus comme pour l’ensemble des filières : « Nous aurons peut-être de moins en moins de personnel de collecte, conclut Franck Pilard, mais de plus en plus de professionnels formés sur le sujet du réemploi, de la réparation, du tri sélectif, afin d’accompagner les gestes citoyens. Ça signifie aussi moins de postes avec de la pénibilité, et plus de montée en compétences. » Bref, rendre enfin visible les déchets que nous produisons, pour y puiser leur véritable valeur, qu’elle soit matière secondaire ou énergie, mais également pour les considérer de nouveau comme des objets que nous pouvons réparer, troquer, donner : il s’agit ni plus ni moins que de changer notre vision du monde. Un vaste programme, aussi vertigineux qu’enthousiasmant.
À Niamey, un tiers-lieu féminin pour un avenir durable
En 2014, la Recyclerie voit le jour à Paris. Consacrée à l’économie circulaire, elle devient rapidement un lieu emblématique, dont Veolia est le principal partenaire, de la capitale parisienne et inspire le Niger pour ouvrir dans la sienne son propre tiers-lieu. Créée en 2018 par la fondation Veolia, la Société d’exploitation des eaux du Niger – filiale locale du groupe – et le réseau international Empow’Her, l’Oasis est un lieu dédié à l’entrepreneuriat des femmes, à l’économie circulaire et à l’écoresponsabilité.
Si l’intention première est de former les Nigériennes à trouver leur place dans la vie financière de leur pays, l’Oasis de Niamey vise plus largement à éduquer les populations à une prise de conscience des enjeux de développement durable et de préservation des ressources.
C’est un unique et véritable lieu d’échange et de partage pour les entrepreneuses, ainsi qu’un espace de formation à l’innovation économique, notamment via son programme d’incubation. Le jardin botanique et le potager écologique permettent de leur côté des contacts informels tout en sensibilisant aux enjeux environnementaux.
En moins d’un an, plus de 2 500 personnes se sont rassemblées autour d’évènements, et pas moins de 700 femmes ont bénéficié de formation à l’entrepreneuriat afin de lancer leur propre activité. Certaines reviennent ensuite pour partager leur expérience ainsi que leurs connaissances et compétences au sein de leur quartier.
Ariska Rosalia, Responsable développement durable du site de recyclage de plastique à Surabaya, en Indonésie
Chez Veolia depuis 2019
Diplômée d’un programme d’enseignement et destinée alors à devenir professeure de lycée, Ariska s’oriente finalement vers la RSE. Après trois années passées dans l’industrie pharmaceutique, où elle se concentre sur la santé, le social et l’éducation, elle intègre Veolia en 2019, en tant que responsable du développement durable en Indonésie. Elle est attirée par cette entreprise présentée comme le plus grand acteur du recyclage du polyéthylène téréphthalate (PET) en Indonésie. Sur le site de recyclage de plastique à Surabaya, Ariska et ses collègues donnent une seconde vie à toutes les bouteilles en plastique collectées.
« Ce poste me permet également de travailler avec les communautés locales, ce qui est l’une de mes passions », se réjouit-elle.
À quoi ressemble votre quotidien chez Veolia ?
Veolia est un acteur de l’économie circulaire. Nous recyclons des bouteilles usagées en granulés de plastique PET de qualité alimentaire : nous transformons de vieilles bouteilles en plastique pour permettre d’en fabriquer de nouvelles. Ce concept de l’économie circulaire donne l’exemple aux entreprises.
Nous devons être responsables de nos déchets, de notre production, éviter les atteintes à l’environnement, et nous devons trouver un moyen pour que nos déchets redeviennent des matières premières. Chez Veolia Services Indonesia, ma mission porte notamment sur la mise en place de programmes de formation à destination de nos fournisseurs.
L’objectif : leur permettre d’agir de manière éthique et d’adopter une démarche durable et responsable.
En quoi votre activité contribue-t-elle à faire face aux défis écologiques que nous rencontrons ?
Traiter les déchets comme une ressource est un moyen d’assurer la durabilité et l’efficacité des ressources. C’est en outre changer notre point de vue et notre attitude. Ce que nous considérions comme des déchets inutiles et sans valeur dont nous devions nous débarrasser devient précieux et utile pour concevoir de nouveaux produits. Ils peuvent donc avoir une valeur supplémentaire en matière d’économie, mais aussi d’utilisation.
Le traitement des déchets constitue un défi majeur pour notre planète. Le recyclage permet de minimiser la production de déchets, la pollution et la consommation d’énergie.
En quoi la longue histoire de Veolia est-elle un atout ?
Avoir une longue histoire est l’un des atouts les plus précieux pour une organisation, cela permet de faire émerger des récits et des personnages qui définissent et contribuent à façonner sa culture d’entreprise, ses valeurs, sa mission, son identité, son objectif et sa réputation. Cela est également un gage de confiance vis-à-vis des parties prenantes.
Mais, à mon sens, le plus grand atout de Veolia reste sa capacité à développer, au travers de ses trois activités complémentaires, l’accès aux ressources en les préservant et en les renouvelant.
- DE CHERGÉ Hilaire. Les Campus Veolia : de l’ambition dans la formation, Le Journal de l’École de Paris du Management. 2010; p.37-43. ↩︎
- Revue du Comité d’histoire du ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, Pour Mémoire, n°12, Automne 2013. ↩︎
- LE LAY Stéphane. « Le rôle des déchets dans l’histoire : Entretien avec François Jarrige et Thomas Le Roux », Mouvements. 2016, p.59. ↩︎
- MAURER Mathieu. « Le recyclage est-il vraiment efficace pour lutter contre la pollution ? », 18h39.fr, mis en ligne le 13 juillet 2020. ↩︎